20 mars 2008

Les Majors Fatals

Vendredi dernier j'ai assisté à la conférence de Frédéric Wicker et Cédric Schönewald de Art 21 à la Bo[a]te, et organisée par Astérides.
Hum... c'est intéressant: ils sont les représentants d'une sorte d'intellectualisme de style méta, c'est à dire que ce qu'ils aiment surtout dans l'art... c'est l'art. Ce qu'ils aiment dans les oeuvres en fait, c'est qu'elles "fassent" art. Les oeuvres qui ne questionnent pas leur propre nature d'oeuvre d'art les laissent quelque part de marbre. Bon, il y a quelques évasions à partir de cette trame mais du coup cela dérape souvent dans une sorte de narration un peu simple, avec l'idée que l'oeuvre n'existe que par une intention, une littéralité. Du coup elles perdent un peu de leur magie quand ils les racontent, ça ne fait pas rêver. La description de l'oeuvre de Franck et Olivier Turpin (celle où ils portent des casquettes reliées par leurs visières), est vraiment très factuelle, les comparaisons techniques sont un peu évidentes (c'est une chorégraphie) et du coup le récit devient assez...barbant. Alors que juste VOIR la vidéo suffit, il n'y a rien à dire de plus ni de moins de cette pièce: elle réalise idéalement lu but de l'art qui est d'exprimer un propos sans être discursif.
C'est qu'ils ont une certaine propension à être bavard à la place des oeuvres. Leurs goûts les portent finalement vers des oeuvres un peu muettes, parce qu'ils peuvent ainsi leur prêter d'incroyables intentions, toujours plus incarnées. Les oeuvres un peu trop "bavardes" formellement les effraient un peu parce qu'ils se sentent débordés par leurs sentiments, leurs pulsions. Ils se méfient un peu du "pop", quand ils disent d'un truc que c'est "wahrolien" ils le disent un peu comme les gens qui disent "Sarkozy, il est dangereux" avec un petit sourire très "tirez les leçons du XXe siècle".
Mais sinon, c'est très bien documenté (on sent qu'ils ont vraiment bossé), les références sont pertinentes et soulignent des similitudes d'intentions rafraîchissantes. Au risque d'enfoncer une porte ouverte on sent que les conférenciers sont plus à l'aise s'ils peuvent baser leurs élucubrations sur l'histoire de l'art récente et moins récente, que les petites histoires de la grande histoire de l'art et autres élevages de poussière sont pour eux autant de mythes fondateurs auxquels il est bon de s'achopper, qu'il est bon de sentir encore vivants. De là, et c'est selon moi la meilleure réussite de cette conférence, c'est qu'on sent chez ce duo un amour sincère des oeuvres, de l'art pour sa capacité à dire, à s'interroger, à mon avis nullement feinte. Il y a un vrai enthousiasme pour l'art allié à un certain sens du réalisme et la conscience que l'art a une vraie portée politique et pas seulement dans le sens romantique du terme. C'est assez rare de voir les deux conceptions cohabiter chez une même personne et à fortiori deux cela relève du miracle!
Ainsi je pense que malgré l'absence de discussion à la fin qui en a frustré plus d'un, ce fut une belle première pour Astérides, avec un public attentif resté malgré la durée, grâce à la qualité de la conférence.
Une tentative d'être incisif quitte à égratigner la scène locale en passant est une prise de risque qu'on saluera, ainsi qu'une impartialité journalistique envers leur hôte sont également à mettre au crédit de la sincérité de ces premiers "critiques". Cédrick Schönewald dit que d'autres rédacteurs d'art 21 qui mèneront les séances à venir ont d'autres points de vue encore différents, que le journal n'est pas du tout monolithique. On attend avec impatience la prochaine!

06 mars 2008

Heureusement que le 29 février n’existe que tous les quatre ans

(sinon c’est trop déprimant)

Enfin, je veux parler de CE 29 février, celui où je suis allée, pleine d’espoir, me masser avec mes confrères « cultureux » devant la préfecture pour manifester contre les coupes budgétaires.
Hum…manifester. C’est un bien grand mot : quelques échalas en bonnets arborant des pancartes faites main qui feraient rougir n’importe quel directeur artistique de la CFDT, des groupes de stagiaires en médiation culturelle qui sèchent les cours en fumant des clopes, apparemment (me dit un informateur plus au fait des figures de la scène marseillaise que moi) toute l’intelligentsia culturelle est là et je guette, parmi ces visages quelconques, la trace d’un charisme censé forcer les portes de la préfecture et défendre notre cause avec panache et brio.
Mais non. Les CRS nous contemplent avec une opacité que mes co-manifestants prennent pour de la bêtise, et que je prendrais pour du contentement de ne pas avoir à taper sur les producteurs culturels, que je suis sûre au final ils respectent et dont ils sont même, si ça se trouve, consommateurs des productions. Bref.
Bien évidemment, personne ne scande, il n’ y aucun orateur (personne n’ose prendre la parole, la notion de leadership a éte radiée du vocabulaire depuis bien longtemps), la manif’ s’étiole d’elle même dès lors qu’une bande de flics en farandole nous pousse doucement (il faut voir tout le monde rigoler niaisement) derrière une barrière et que certains qui en ont profité pour faire du RP tout auréolés de leur conscience politique bon marché s’éclipsent pour boire des bières à la brasserie hors de prix du coin avec leurs nouvelles conquêtes…
J’en viens au but de ce post : je ne comprends pas le manque de cohésion des cultureux lorsqu’il faut faire face à ce genre de revendications. En effet, je crois que finalement personne n’a été reçu par la préfecture et que donc nous n’avons pu faire passer aucune revendications, et encore, lesquelles étaient-ce à part ce cri un peu naïf et premier degré que « non à la coupe des subventions » ?
Un des (seuls) points intéressants du meeting culture de Guerini à la Friche le mois dernier était la présence de l’adjointe à la culture de Lyon et de celui de Barcelone. En effet, ce sont des témoins intéressants de comment la culture peut être prise en compte comme un facteur de développement important pour une ville de la taille de Marseille (et donc soumise à des problèmes de cohésion sociale et de prospérité économique disparates et difficiles à solutionner avec les curseurs habituels). La culture est en effet facile à manipuler au niveau local du fait de la diversité de son tissu et de la nature de ses activités (en termes d’emploi, de gentrification, d’occupation des quartiers, de mixité sociale, de travail des femmes, de médiation envers le public, d’accueil, de production de richesse économique et, last but not least ! de production intellectuelle). La culture aide de façon concrète à la prospérité d’une agglomération : Xavier de Grenouille me disait l’autre jour qu’ils ont prouvé qu’une manifestation comme le Festival d’Aix par exemple rapporte dix fois plus qu’il ne coûte à organiser !!! Nous avons alors eu un débat sur la communication autour de ce genre de détails : certains répugnent à les mettre en avant sous prétexte que la culture doit être considérée indépendamment de l’aspect financier, être prise comme la Culture avec un grand C, quelque chose d’abstrait, de sublime à laquelle il ne faudrait pas toucher pour des raisons uniquement symboliques. Mais il me semble que c’est une réflexion à PLEURER de naïveté. Si la culture doit être défendue, surtout auprès du gouvernement actuel, c’est sur la base du facteur de développement important qu’elle représente de façon factuelle pour toute agglomération et nation qui espère retrouver une balance économique stable dans le contexte de la désindustrialisation et la mondialisation des services !! La culture représente une activité locale absolument NON délocalisable, qui permet à des micro-économies de tourner en vase clos, de façon relativement indépendante par rapport aux fluctuations des marchés et de l’économie en général. Le fait qu’elle doive commencer à fonctionner en recherchant des budgets supplémentaires en dehors des aides de l’état est le résultat d’une conjonction historique qu’il ne s’agit en aucun cas de polariser en termes de bien et de mal, comme on l’a fait de façon irréversible avec la mondialisation (pour rappel : la mondialisation n’est ni bonne ni mauvaise, elle est simplement un FAIT). Les associations en sont conscientes, elles le font déjà de façon déjà bien structurée, et c’est de la démagogie pure ou de l’inconscience de croire que le système culturel français (et les autres !) vont pouvoir continuer à innover et à créer avec les seules aides de l’état. Tout cela pour la simple et bonne raison qu’à notre époque, les entités les plus riches ne sont plus les états mais les grandes fortunes issues du commerce et que donc c’est à elles de soutenir la culture en prenant une position morale, que les états doivent inciter comme avec la loi de finance 2003 qui est bien mais qui ne doit être qu’un DEBUT.
Dès lors, l’Etat doit donner l’exemple en continuant à soutenir de façon forte la culture en commençant par augmenter son budget général. On sait bien qu’en culture plus qu’ailleurs on est habitué à faire peu avec beaucoup, et l’on se prend à penser aux choses fabuleuses qui pourraient se passer si l’Etat Français augmentait la part du budget culture dans son budget global ne serait ce que de 1% !! Et de même pour les villes : Marseille dépense 8% pour la culture contre Lyon 20% . Avec les résultats que l’on connaît…et encore, Marseille je pense, n’en déplaise aux Lyonnais, a une plus belle réussite en termes de richesse du monde associatif (du moins au niveau de l’art contemporain, je parle pour ma paroisse) !
On demande alors comment se fait-il que personne dans le domaine de la culture ne se sente capable de porter cette parole porteuse d’espoir, de prêcher cette vérité économique pourtant indéniable ? Et bien, je pense que c’est par mauvaise conscience. Le monde de la culture vit encore sur une espèce de fond idéologique marxiste, et envisager que l’on puisse utiliser le capital pour faire prospérer la culture est une idée insoutenable pour certains gardiens de l’orthodoxie culturelle ! Mais qu’ils sachent bien que ce sont eux les fossoyeurs de notre culture, les réactionnaires, les anti-progrès et les passéistes qui pousseront leurs camarades à aller vers de plus en plus de marginalité, de dépendance, et de rétrécissement des idées !
Il faut parler aux politiques avec des mots qu’ils comprennent : nous organiser pour leur démontrer exemple à l’appui que des villes comme Lyon, Barcelone et bine d’autres encore ont fondé leur prospérité et leur attractivité sur la Culture, avec un grand C !
Tant que les acteurs de la culture ne cesseront pas d’être dans l’angélisme et le déni, alors il ne pourra rien se passer et le dialogue entre les pouvoirs publics et les gens qui se préoccupent de et agissent véritablement pour la culture continuera d’être un dialogue de sourds ! Nous demandons aux pouvoirs publics de comprendre les enjeux artistiques de notre création, alors essayons de faire de même et de traduire en termes intelligibles les enjeux culturels, sociaux, économiques et politiques de la culture que nous défendons - car elle en a ! Il faut cesser de se défendre de toucher et de parler de ces aspects sous prétexte que nous serions de purs créateurs. C’est faux ! Nous avons les idées et les compétences pour élaborer une véritable politique culturelle en conjonction avec le gouvernement. Il faut les rendre visible ! Arrêter de nous autocensurer, et commencer à échanger entre nous pour rendre intelligible notre cause.
Ouf, on a quatre ans avant le prochain 29 février.