29 novembre 2010

Cher Castello,

tu pourrais quand même arrêter de faire des expos temporaires aussi décevantes (même si celle de novembre dernier était super). Mince: de ta part, j'attends quand même autre chose. Je veux dire, tu es quand même un des plus grands musées d'art contemporain du monde. Un des plus anciens. On rêve tous, nous les curateurs, de devenir un jour directrice ou directeur du Castello. Alors si c'est pour nous montrer des expositions pareilles je te jure ça me fiche le moral en l'air.
Enfin. Je vais tenter d'exposer les raisons de mon courroux, et démontrer qu'au final, et bien, j'en ai quand même tiré quelque chose (optimisme, optimisme, quand tu nous tiens).

L'exposition d'Adam Carr, où devrais je dire, l'exposition exposition (hu hu), qui s'intitule donc Exhibition, exhibition, commence déjà par un statement bien prétentieux, même si à vrai dire je n'en suis jamais à ça prêt. Mais écoutez donc ça (je cite):
"Exhibition Exhibition is an exhibition that sets out to reflect on the roles of perception and interpretation in the experience of viewing both works of art and art exhibitions, revising the ways in which we commonly view them".
Je m'interroge sur ce "nous": je pense tout d'abord que Carr ne souhaite s'adresser qu'à des professionnels puisque nous sommes dès le début dans une métapensée sur le format exposition qui est en soit assez déjà vue (jusqu'à deux expositions simultanées sur ce même pitch à marseille à la rentrée dernière) et à la limite du réac (arg! pour un curateur de 29 ans, que va t'il se demander à 70 ?). Ce discours me semble écarter d'emblée tout spectateur qui n'en serait qu'à la première étape, à savoir venir au musée pour voir des œuvres, sans avoir à se demander en plus pourquoi il les voit et comment. Après je suppose qu'en tant que professionnelle également je devrais trouver ces questions légitimes mais non, ça ne tilte pas. Surtout quand on m'explique que l'exposition va "réviser la façon dont (je vois) les expositions d'habitude": personne ne sait comment je vois les expositions, et puis toujours cette même prétention à faire changer le regard du spectateur, cela dénote une envie démiurgique et mégalomane profonde de contrôle qui me donne des frissons dans le dos.
Mais je vais sans doute un peu loin.
Plus loin, le statement devient confus: il me semble qu'Adam Carr s'est trompé, qu'il voulait faire deux expositions différentes: une exposition sur l'exposition donc, s'il y tient, et une exposition sur le double (bon les deux archi fait et refait, mais je suppose que c'est la combinaison des deux qui est censée être nouvelle, et puis je ne m'étendrai pas sur le concept de nouveauté, c'est encore un autre sujet). Et surtout, il enchaîne une suite de banalités sur l'art en général, autour de cette idée de symétrie. C'est un peu didactique, peut être pour rattraper le mépris du spectateur contenu dans le premier paragraphe? Le pauvre, s'il nous avait suivi jusque là, il doit être perdu.
Je ne vais en fait pas m'étendre plus sur ce statement tant il me navre. Le paragraphe sur la difficulté des espaces me navre; la banalité du display comme problem solver me navre; le truc du jeu des 7 erreurs me navre;  le dernier paragraphe, par sa naïveté autoritaire, par son hypocrisie à parler du spectateur comme un acteur crucial du processus après l'avoir traité comme un sage puis comme un ignorant me navre. Je ne comprends pas pourquoi la déception doit être la justification de l'abandon de toute tentative de réaliser des expositions qui parlent de l'extérieur et pas de notre sempiternel petit monde de l'art et ses problématiques mi idéalistes mi réactionnaires, privilégiés que nous sommes dans nos mégalopoles européennes gavées de bières, de jolies filles et de vernissages.

Mais donc je vais la faire courte.
Je suis une professionnelle. Super. Je rentre donc dans l'exposition: je lis le statement qui m'énerve. Je commence à regarder les pièces et et l'accrochage est tellement alambiqué et les cartels tellement longs et pompeux et illisibles que j'arrête de les lire au tiers de l'expo, dégoûtée. Pas grave en même temps, je connais les trois quarts des pièces (merci taschen). J'arrête donc de lire les cartels, et finis l'expo au pas de course, furieuse.

Comme j'avais commencé par l'exposition temporaire, je me retrouve dans les collections permanentes. Je n'ai plus la force de lire aucune PLV, moi qui suis d'habitude (et oui je l'avoue) plutôt bonne élève en ce qui concerne la prose des curateurs zélés et leurs assistants (dont j'ai fait partie dans le passé). Du coup, je traverse les salles en rêvassant, mais en me concentrant vraiment sur les pièces. Je ne regarde même pas les cartels des œuvres dont je ne connais pas l'artiste: plus envie, et puis ça me distrait des pièces elles mêmes, superbement installées dans ce lieu quand même impressionnant, et je remarque des petits clins d'oeil dans l'accrochage, des jeux avec l'architecture que j'avais manqués la dernière fois, les yeux rivés sur ces maudits cartels. Je me sens un peu chez moi. Je déambule dans les pièces, reviens sur mes pas, m'assied par terre, attends un peu trop longtemps la boucle d'un Viola et du coup la rate au dernier moment, trop impatiente. J'ai les yeux grands ouverts, je suis bien réveillée, alors qu'il est six heures du soir, qu'il fait nuit et plutôt froid. Je reste dans les salles jusqu'à la dernière minute. Dehors mes assistantes m'attendaient: je suppose qu'elles, elles avaient zappé ces cartels énervants depuis longtemps, avec une fraîcheur légitime.

Tout ça pour dire: si je vois encore une exposition sur l'exposition, je... Je pense passer mon temps à questionner ce format, qui est à la fois si familier, si confortable, et en même temps si artificiel et construit selon des normes historiques tout à fait contestables, mais je pense avoir la pudeur (ou l'intelligence) de garder ces questionnements à la fois cruciaux mais inhérents à ma pratique (une pratique qui je le rappelle devrait selon moi tendre à une certaine invisibilité), et de les incorporer à mes expositions d'une façon sous jacente, bien présente, mais n'éclipsant jamais les œuvres des artistes elles-mêmes. Car où sont les œuvres dans l'exposition de Carr? Elles sont encore une fois une litanie de personnages connus, elles ne fonctionnement plus que comme les fantômes d'elles-mêmes, comme des rappels à leurs propres invocations: elles sont des symboles devenus d'autres symboles.
Dès lors, la question demeure: pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

09 novembre 2010

Late email to my editor in chief

de: dorothée dupuis
à: xxx
date: 23 octobre 2010 00:56
objet: Re: on its way 

dear X,

well well, i am pretty inspired, hum, i wanted to check with the number of words
you said 1000 word, I am affraid i am on 2000 because this whole story with video is really getting somewhere on a social level, i mean i think it's very important to explain the strong responsabilities of those films and images and i am not getting sensitive about the riots taking place right now in france or may be a little but art is political or not?
we cant keep making biennials and so on bearing such phony titles if we dont wet our shirts a bit, trying to explain why art is really trying to change things and not just being some clever subtitles for uptowners !
(I guess chris sharp didnt tell you I am a dangerous feminist activist, now it's too late :D !!!)
Non, bon, i exagerate, but not that much.
I just read coco fusco's intro of her catalogue "only skin deep" and it's just so right, i cant say anything else.
but i am trying!
the videos i think are quite good, all in their different styles. At least, they very tell you something about right now, and it's already that. So much art keeps it quiet right now, it's like a pupil hidden in the back of the classroom hoping that the teacher wont pick him for review. Some of them are even polemical, at least i hope, i will try to explain why i think there could even exist something polemical in the artworld nowadays, where the last notable scandal is Robert Storr exhibiting only painting in the last venice biennial ! scary huh? if someone even pay attention.
Well dear X, dont take me for a reactionnary, because enthusiasm coupled with fair anger are often nowadays mistaken for that. We dont know each other well, but I thought I owed you some thoughts about this paper i am writing, because it's your newspaper, and i guess you must be happy that your contributors have intellectual exchanges with you on some matters. I hope you're not drop dead stuck in post modernism, where everything is equally pleasurable or painful, and that art still makes you ache, or infuries you, or makes you happy for the day or even longer.
You dont have to answer me a whole bunch.
Just tell me for the 2000 words, i promess i stick to it.
And despite this current scary english, i guess i can give you an english version by sunday, a english friend of mine can help!
Have a nice week end!
Best,
Dorothée

17 août 2010

Gasiorowski, artiste d'artiste

Mardi dernier j'ai été à Nîmes voir l'exposition Gasiorowski qui s'annonçait comme une des chouettes expositions de l'été (avec celle de Claude Levêque dont je parlerai peut être plus tard, bien qu'il n'y ait finalement pas grand chose à en dire, à part qu'elle est un peu légère).
Et bien, ce n'est pas faux, même si nous avons accueilli l'exposition au final (nous étions trois amis) avec une certaine réserve.
Bien sûr cela fait toujours plaisir de se retrouver face à un large corpus d'œuvres qui permet de saisir dans toute sa cohérence une démarche singulière. La première chose qu'on peut remarquer c'est qu'en fin de compte, Gasiorowski n'a pas énormément produit (dû aussi à son décès précoce à l'âge de 56 ans, soit environ vingt cinq ans de production). Beaucoup de pièces m'étaient déjà connues, notamment celles des séries les plus notoires qui recommencent à être présentées ces dernières années avec l'engouement pour les vieux artistes qui revient à la mode (cherchons nos racines, est l'injonction la plus classique en temps de crise). Ainsi on avait pu voir le grand ensemble de la guerre en 2007 à l'exposition Airs de Paris à Beaubourg ou les travaux de l'Académie Worosis Kiga à la Villa Arson aussi 2007, ainsi que quelques belles toiles à l'exposition le Chemin de Peinture au MAMAC de Nice en 2009.
Les autres œuvres présentées (à part l'ensemble des Paysans somme toute assez drolatique) font alors plutôt partie soit de séries précoces de l'artiste (les Approches, à la technique et la graphie surprenantes), ou alors font partie de recherches plus ponctuelles et plus traditionnelles (sur le pictural, sur la notion d'héritage artistique, sur des thèmes comme l'esquisse, l'autoportrait) et ont au final plutôt l'air de recherches que d'œuvres véritablement finies. Encadrées avec soin et rassemblées en séries, elles accèdent à un statut très muséal, qui contraste pour certaines avec leur nature éthérée, car Gasiorowski semblait très attiré par les supports et les matériaux pauvres, cauchemars des conservateurs. On ne pourra ainsi pas s'empêcher de remarquer que le grand ensemble de la guerre se racornit et rétrécit à chaque monstration, les petits éléments de carton le constituant subissant à chaque installation des outrages de plus en plus irréparables (Michel Enrici raconte d'ailleurs que pour installer l'œuvre, Gasiorowski se contentait de viser le socle puis de jeter les élements de façon éparse: au final, cette dégradation programmée reste alors dans la logique des choses). Je me demande dans quelle mesure Gasiorowski avait conscience de la précarité que les matériaux utilisés impulsaient de fragilité à la future postérité de sa pratique, et j'aurais tendance à penser que cette démarche était d'un certain côté volontaire.
Ce qui m'amène à une question plus globale. Le travail de Gasiorowski fournit des indications remarquables et anticipatrices notamment sur tous les liens entre peinture, représentation, narration et fiction : un grand nombre d'artistes contemporains reprennent à leur compte ces notions de communautés fictives. Cette approche du travail de l'artiste est évidemment à rapprocher des thèses d'un Hal Foster sur la position de l'artiste comme anthropologue, un artiste donc plus préoccupé à observer et à ordonnancer le monde qu'à le produire (l'artiste comme producteur) notion Benjaminienne un peu marxiste et aujourd'hui (toujours selon Foster) dépassée. En cela, la rétrospective fonctionne bien car elle permet de mettre en lumière cet aspect précurseur du travail, et affirme Gasiorowski comme un artiste français qui n'a peut-être pas eu l'attention qu'il méritait justement en raison de son attachement à des méthodologies visant à déstabiliser la catégorie peinture, à la faire vaciller de sa position statique encore en vogue en France et en Europe à l'époque, et finalement plutôt à rapprocher de tentatives conceptuelles d'artistes américains ou allemands comme Guy de Cointet (le côté props) ou Blinky Palermo (peinture performative), connivences intellectuelles dont l'exposition ne dit mot (peut être n'était ce pas son propos...).
Ainsi la tentative avouée des deux commissaires d'affirmer, à grands coup d'encadrement de mini pièces en carton foutraques et de références à une grande Histoire de la peinture malgré la défiance affichée de l'artiste pour celle-ci, l'appartenance de Gasiorowski au grand rouleau compresseur de la postérité (ils n'hésitent pas à le qualifier dans la préface d'un des "peintres les plus importants de son temps", en gras s'il vous plaît), me paraît un peu autoritaire et pose encore une fois de plus la question de l'instrumentalisation des œuvres et des artistes. Il me semble que Gasiorowski, par l'incongruité et le côté visionnaire de son projet, ainsi que par la relative modestie de sa production globale, ainsi que son caractère précaire, ne prétendait pas s'affilier à la grande peinture. Certainement mégalomane et prétentieux comme le sont tous les grands artistes, il me semble notamment par certains récits biographiques qu'il était un personnage bougon et irrascible, peu enclin à s'affilier à une histoire de l'art qu'il semblait rejeter et je ne sais ce qu'il penserait de cette rétrospective aux vitrines bien propres pour encadrer les déjections qu'il destinait sans doute à choquer le public bien pensant des galeries et des musées. A toutes fins je classerai donc plutôt Gasiorowski au panthéon des "artistes d'artistes", souvent écartés de la grande histoire de l'art avec un grand H, mais en revanche présent au cœur de ceux qui font l'art, qui font circuler les découvertes et les petits coups d'éclat sous le manteau, qui sont à même de s'extasier sur les petits gestes, les mini maquettes, les gribouillages sur cartes postales, les private jokes liées à des motifs, des disques, des textes, issus d'une subculture contemporaine mais oh combien présente dans le faire épistémique d'une génération d'artistes. Le présenter ainsi, comme une personnalité foutraque, un peu isolée, atypique, visionnaire bien que non attachée à la forme, en phase avec son temps et son époque d'une façon un peu dilletante, eut peut-être plus rendu justice à l'artiste que la grande rétrospective réifiante qui est proposée ici au Carré d'Art. On aurait aimé un peu plus d'ironie dans le commentaire, une façon un peu plus légère de présenter le projet de l'artiste, dont le caustique transparait sous les explications pompeuses.
Cher lecteur, vous allez maintenant croire que je n'ai pas aimé du tout cette exposition, alors qu'en fait elle reste d'un point de vue scientifique assez bien conçue, et permet de découvrir dans son ensemble le travail de l'artiste pour ceux qui ne le connaîtraient pas. En revanche, cette dissonance, ce paradoxe de la rétrospéctive muséifiante à un artiste originellement plutôt “outsider” n'a pas échappée à mes deux amis visiteurs, qui ont vraiment apprécié certains passages mais n'ont pas compris l'accent appuyé mis sur l'importance de l'artiste. L'anecdotique leur est apparu comme une caractéristique saine et essentielle de la pratique, contrariée par la rigueur des présentations. Ils ont ainsi perçu la contradiction entre la légèreté du propos de l'artiste et la prétention des metteurs en scène, et en ont ressenti une certaine gêne, bien qu'un certain optimisme au vu des ratages et des incertitudes de cet artiste atypique et léger dans ses choix parfois diamétralement opposés et assez libre dans ses tentatives et productions. En tant qu'artistes donc, ils ont réussi à percevoir la liberté sourdant sous les vitrines, et c'est une belle échappée que réalise encore l'artiste, un ultime pied de nez irrévérencieux, plus de vingt cinq ans après sa mort. Quelle plus belle démonstration de la force brute du travail? De l'amant éternel de Kiga l'insaisissable, on n'en attendait pas moins.