05 septembre 2006

Le Commissaire te voit!!

Ca y est nous ouvrons la galerie du Commissariat!!
Je suis pétrie de stress.
Il est difficile d'accorder parfois nos emplois du temps. Cela malgré tous les moyens de communication moderne il est dur de coordonner toutes les actions et parfois les timing des uns ne correspondent pas à ceux des autres, surtout mentaux. Je sais que je suis une grosse angoissée, et j'ai besoin d'étaler les choses dans le temps pour avoir le sentiment de maîtriser. Les autres sont peut être plus insouciants, du moins, moins angoissés!!
Mais j'apprends aussi à me relaxer :), du coup!!
Ah oui il faut les présenter: il y a Faycal Baghriche, l'homme organisé, le RP fatal, l'homme au carnet d'adresse en or; il y a Matthieu Clainchard, qui vient de passer sur France Culture ce lundi soir 4 septembre à 00h10 http://www.radiofrance.fr/services/rfmobiles/podcast/index.php?channel=5&g=EMI et qui est le pacificateur du groupe, et Vincent Ganivet qui est la voix de la raison et le tranche tout dès qu'il y a une décision cruciale à prendre. Et moi, je fais des listes et je passe par jour 30 coups de fils ravis, enervés, hurlants, joyeux, ou découragés tour à tour!!!! Mais ils ont toujours réponse à tout et tout finit toujours par s'arranger...
En tout cas le vernissage inaugural du Commissariat est le 9 septembre au 15 passage Ste Anne Popincourt à Paris, Métro Chemin Vert, "Sans conservateurs" s'intitule l'expo, venez nombreux!!!

14 juin 2006

Lettre à une jeune artiste

Hum...
Je ne sais pas quoi dire, sinon que pour moi tu parles de beaucoup de choses qui pourraient avoir l'air de se mélanger mais qui finalement parlent de beaucoup de mécanismes antagonistes, ou juste simplement distincts.
Par exemple, pour quelles raisons un jeune (ou moins jeune artiste) crèverait il la faim?
- soit il est nul (et encore, beaucoup d'artistes nuls et hyprocrites réussissent très bien!!)
- soit il n'a pas les bons contacts, et à cela je répondrai que c'est juste une question de temps, les gens tu finis toujours par les rencontrer et ils te font faire d'autres rencontres et ainsi de suite... il faut juste être patient et savoir convaincre au bon moment.
- cela nous amène au fait : et s'il ne sait pas se "vendre", càd parler de ses envies, idées, oeuvres de façon suffisamment communicative pour que les gens l'aident dans ses projets? Pour ma part je pense que même un bon artiste sourd et muet pourrait communiquer sur son travail car j'ai le rêve fou que les oeuvres parlent toutes seules.
- Maintenant, il nous reste le problème des pistons et des lèches culs. Effectivement le monde de l'art est fait de réseaux et de clans, qui ouvrent les portes à ceux qui montrent patte blanche et s'apparient aux réseaux existants. La encore, je crois qu'il y a encore des gens qui font des choses biens et qui croient en de parfaits inconnus, j'en veux pour preuve Lidwine qui avec sa bite et son couteau s'est faite filer une aide à la création de la DRAC de 4700 euros et des brouettes (d'aillleurs encore bravo Lidwine!! :)) céline qui tient la dragéee haute aux péteux du PDT et de la Seine au 315, et la mère Julie préselectionnée aux Beaux arts de lyon en Post diplôme (on croise les doigts!!) et toi qui fais des films pour le CIC. Donc voilà, c'est juste qu'on a 25 balais et qu'on commence (plutot bien d'ailleurs) et ceux qui ne recoivent pas de tunes pour leurs créations à 35 ans se débrouillent mal (ou sont en fait juste de gros feignants, car je peux te le dire, tous les mecs connus sur la scène bossent comme des CHIENS). De toute facon c'était clair qu'on finirait pas milliardaires.
- je suis d'accord avec toi il doit être possible de continuer à créer des evènements comme par exemple des performances qui ne sont pas vendables, exploitables commercialement et qui permettent de "dire" des choses de façon libre, spontanée et non censurée. C'est alors à nous de faire en sorte que si certaines d'entre vous deviennent des stars, elles continuent la performance au lieu de tirer des cibachromes à 50000 euros pour une exposition, moins de travail et plus rentable.
- maintenant cela nous amène à ce fameux lien art souhaité par le public/ art soi disant "pur" et créé loin de toute contrainte de marché. Je ne pense pas que les artistes créent "pour" un marché, meme les plus mesquins et en général leur boulot ne tient pas longtemps. Il y a juste des mécanismes de réactions aux thématiques liées à l'époque, puisque l'art est un miroir de son temps, et le public (surtout quand il est si lié à l'art de son époque comme en ce moment, 13% de fréquentation en plus des musées en france en 2005) réagit spontanément aux oeuvres présentées et plébiscite, commercialement d'accord mais aussi intellectuellement ces oeuvres qui lui semblent lui parler du monde.
Hum.
Du coup, je ne crois pas que tu puisse prendre le public désireux de se déplacer pour aller voir une expo en otage d'une soi disant mauvaise conscience genre "vous idiots abêtis par le système qui pensez pouvoir exiger ce que vous voulez voir et ne pas voir". Parce que je ne pense pas que cela marche comme ca. Je pense que l'art activiste très premier degré ne fonctionne pas. Il singe les formes du terrorisme pour revendiquer de force une pseudo tolérance mais le terrorisme étant déjà en soi un mécanisme formel (il n'y a jamais de "fond" qui puisse justifier l'application du terrorisme) il sombre justement dans l'activisme le plus creux (...)
Maintenant je pense que toute la vertu de l'art c'est de pouvoir parler des choses sans les nommer expressement. Il ne faut pas confondre honnêteté et naïveté. Et je crois que tu es tout sauf naïve. Je veux dire c'est un sujet extrêmement intéressant mais il mérite d'être traité avec le plus grand soin car sinon cela risque de ressembler à un pamphlet Debordien de plus et je pense que personne n'en a vraiment envie.

19 mai 2006

en fait je me pose cette question cruciale peut etre...
en ce momen nous sommes en train de realiser des projets communs...
comment se met en place la sélection des pieces?
sur quels critères se base t'on pour choisir des pièces>
Faudrait il mieux choisir uniquement des pièces, quitte à ce qu'elles soient moins bonnes ou moins adéquates, mais d'artistes connus?
Ou alors choisir des pièces d'artistes inconnus, mais dont le travail semble s'adapter à un moment donné à un propos particulier?
Je ne connais pas la réponse. Mais en tant que commissaire, et donc quelque part comme "auteur d'exposition" pour reprendre ce terme de Eric Troncy que je n'aime pas trop, bien que.
Il me semble que l'intêret des pièces doit être le premier des curators, dans un souci d'honnêteté et d'exhaustivité, et qu'il faille devoir se justifier devant un tel ou un tel de nos choix et de nos "dislikes". Cela pour l'instant ne me pose pas de problèmes.
Bon.
Dès lors, chacun ira voir "La Force de l'Art" avec grand intérêt, car en réunir en si peu de temps autant d'euvres d'art de très haut niveau tient compte du miracle si l'on juge du peu ded réactions comme entraîne des opérations innovantes comme le lancement du forum Airs de Paris lundi prochain, ou encore d'autres comme le réseau TRAM et toutes ses implications au niveau local.
Enfin.
Je suppose que ce n'est qu'une question de vocabulaire, comme nous le souhaitions au début de la conférence, voilà.

14 mai 2006

"Orcaille" à Haptic, Vestibule de la Maison Rouge, du 4 au 14 mai 2006

Le vernissage s'est super bien passé, ensuite un couscous a été offert par l'équipe aux visiteurs, le public était ravi!! (enfin, je crois)
Il y avait vraiment beaucoup de monde, merci à tous d'être passé...
J'ai été un peu discrète ces derniers temps mais trop de travail avec l'expo...
De nombreux projets en cours, à suivre...
Sinon, le texte de l'exposition ci-après...
Bonne lecture!


Du cinéma à la vidéo, du crime à la magie: Orcaille ou le rapt du réel

« Le cinéma, […] mauvais lieu, lieu d’un crime et d’une magie. Le crime : que des images et des sons soient prélevés (arrachés, volés, extorqués, pris) sur des êtres vivants. La magie : qu’ils soient exhibés sur une autre scène (la salle de cinéma) pour y causer la jouissance de celui qui les voit. »
Extrait de La Rampe, de Serge Daney

Il est parfois difficile pour un commissaire d’exposition de travailler avec un collectif comme Orpaille, composé de plasticiens exigeants et aux moyens d’expression variés, et moins enclins à des discussions d’ordre conceptuel qu’à celles qu’ils entretiennent avec Adobe Première ou Maya 7. Par exemple, avec un des membres de son noyau dur, Thibault Gleize. L’homme, un peu old school, est réfractaire à toute tentative de conceptualiser son propre travail. Il cite bien, au hasard, quelques références, mais ce sont plus des objets de trip, Lynch, Kubrick, Barney, que des cinéastes, que de véritables influences qui structureraient son langage. Donc, pas de clés dicibles, pas de cadre artistico-historique ou de discours idéologique bien propre sur lequel calquer son propre propos. Non. Un fossé, une distance, parfois douloureuse pour l’amour-propre du simple montreur d’artiste qu’est le commissaire, mais pourtant salutaire car humiliante dans le bon sens du terme, pour une fois, être mis au même niveau que ce spectateur ignorant, découvrant l’œuvre de façon fraîche, l’abordant désarmé et tout à la surprise visuelle immédiate.
L’œuvre se découvre d’autant plus facilement qu’elle est un film. Un vrai film, avec des rebondissements, des décors, des personnages, une bande son, des travellings, des réglages lumières, des contre-plongées et tout le tralala. Ce vocabulaire, chacun le connaît par cœur. C’est celui d’Hollywood : c’est celui du cinéma, rendu familier par le prisme populaire de la télévision. De quoi réjouir les détracteurs habituels de l’art contemporain : ici les règles du jeu sont données, Orcaille est un film, un vrai, il va être possible de le juger (voire de l’apprécier !) à l’aune de critères tout à fait conventionnels, de rythme, de photographie, de cadrage, de son, et de narration.
A cette aune familière, le spectateur, même le plus novice en matière de vidéo plasticienne (appellation oh combien barbare !), pourra alors se concentrer tout entier sur le film. Laisser une chance à la magie de l’histoire de faire son cinéma.
Voyons alors ces jeunes plasticiens comme des éponges. Des jeunes gens sensibles, un peu taciturnes, spectateurs éthérés traversant la cité quotidiennement à l’occasion de leurs différentes activités plus ou moins exotiques (surveillants de collège, webmasters, membres du conservatoire de musique, étudiants en art et en cinéma, mais aussi guides à Notre Dame, gardiens à La Grande Chapelle ou encore décorateurs de série télévisées françaises), se promenant souvent avec caméra ou appareil photo. L’œil collé au viseur, sorte de Tartowskis de l’an 2000, ils enregistrent comme un journal quotidien des images, des moments, de décors, des vies, des personnes, une, des réalités. Cette force d’attraction du réel sur l’artiste dont le regard transforme, est au cœur du travail de l’équipe d’Orpaille. De ces images réelles, crues, ils vont façonner un monde étrange et dupliqué, où le temps s’étire et se rétrécit, où les personnages et les architectures se transforment, alternant sans cesse entre beauté mystique et côté obscur. Ce travail sensible est engagé profondément dans son siècle, et dans le chaos ordonné que sont devenues nos cités occidentales contemporaines : sublimation d’un passé architectural séculaire, fascination pour les grands complexes industriels modernes, pour la capacité de l’urbain à se métamorphoser en un paysage dans le sens bucolique du terme ; surgissement d’une nature adaptée et interstitielle, présence humaine effacée, inquiète se heurtant à l’immensité de structures pensées par elle et dont l’échelle s’est cependant totalement émancipée. Une réflexion somme toute logique et dont pourtant la magie demeure inexplicable, dans la beauté du récit et du travail, numérique, d’orfèvre : l’équipe utilise l’ordinateur, ses possibilités de travail sonore et virtuel pour sculpter la bande, pixel par pixel, à l’image de la photographie que Barthe décrivait comme une véritable sculpture de lumière1, l’empreinte physique sur la matière du film d’une émanation du référent.
Car ce qu’il faudra retenir d’Orcaille, c’est peut être une humilité, telle celle qui me désarmait au moment d’aborder l’écriture de ce texte : une humilité devant le pouvoir d’une imagination singulière, une humilité dans l’ardeur à aborder la vidéo d’art comme un challenge nouveau, créateur de nouvelles formes d’expression rendues possibles par les technologies numériques, technologies souvent utilisées de façon anecdotiques comme autant de prétexte à la suffisance, voire à la médiocrité par certains qui se targuent de penser que le spectateur n’y connaît rien. Mais le spectateur au contraire est dans ce cas le véritable connaisseur, il est celui qui s’abreuve au quotidien de milliers d’images en mouvement, et si Orcaille peut lui faire oublier les autres images ne serait ce que 6mn40, le déconnecter du monde et le faire rêver éveiller, ce qui est une des capacités du cinéma et, entre autres, de l’art, alors c’est avec une satisfaction simple, d’artisan, que le collectif Orpaille retournera se pendre à d’autres clochers et épuiser encore quelques unités centrales pour tisser, Pénélopes inlassables, le fil magique qui lie fiction et réalité, seconde après seconde, minute après minute.

1 « On dit souvent que ce sont les peintres qui ont inventé la photographie (...) Je dis : non, ce sont les chimistes (...) la photo est littéralement une émanation du référent. (...) la photo de l’être disparu vient me toucher comme les rayons différés d’une étoile (...) Ainsi la photographie du Jardin d’Hiver, si pâle soit-elle, est pour moi le trésor des rayons qui émanaient de ma mère enfant, de ses cheveux, de sa peau, de sa robe, de son regard, ce jour-là »
Extrait de La Chambre Claire, de Roland Barthe

04 avril 2006

Commentaires...

Chers tous,
Je viens d'activer la fonction libre des commentaires. Chacun peut désormais laisser des commentaires sur ce blog sans avoir à s'encombrer d'enregistrements fastidieux. Bien sûr si les querelles en venaient à s'envenimer il me faudrait intervenir et avoir recours à la modération, mais je sais que les personnes intègres que vous êtes ne manqueront de respecter une stricte étiquette. En toute irrévérence, par ailleurs.

31 mars 2006

"Notre Histoire" (âmes sensibles s'abstenir)

"Une exposition sur la scène artistique française émergente"
Commissariat de Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans
Palais de Tokyo, du 21 janvier au 7 mai 2006

Est-il vraiment encore utile d’écrire quelque chose de plus sur « Notre Histoire » au Palais de Tokyo ? Tire t’on sur une ambulance ? Achève t’on les oiseaux qui se cachent pour mourir ?
Je ne le crois pas et ne suis certainement pas adepte de l’acharnement critique, mais il me semble que les véritables enjeux de cette exposition, multiples et véritablement éclairant sur l’état actuel de l’art contemporain en France, n’ont pas été véritablement discutés, sinon pour être jugés à la va-vite lors de querelles de clans, typiques des luttes intestines du petit milieu de l’art français.

Car qu’est ce que « Notre Histoire » ? Une exposition spectaculaire, voulue par les politiques et les commissaires comme une espèce de plaidoyer pour un art français qui serait en mesure de se défendre sur la scène internationale. Une sorte d’explosion pop, ludique, aux niveaux de lecture simplistes, capables de mettre le monde et ses enjeux en boîte, rapide à consommer, à voir, à comprendre, à oublier, bref, de la culture jetable, aussi vite vue, aussi vite digérée.

Le plus étonnant sans doute, est que la sélection des artistes est au demeurant plutôt intéressante, en dehors du fait qu’elle fait la part belle aux habitués du Palais de Tokyo et à ses partenaires. Il s’agit en effet pour la plupart de véritables espoirs, formant une génération cohérente tant au niveau de l’âge que des problématiques évoquées, aux pratiques riches et aux points de vue pertinents. En effet ce que les commissaires du Palais de Tokyo ont toujours revendiqué, c’est-à-dire des œuvres au fort premier abord plastique, aux matériaux évocateurs, aux images choc, à la volonté de discourir sur le monde actuel dans toute son pragmatisme, se retrouve bien sûr dans « Notre histoire ». Ce qui est dommage, c’est la sélection même, car ont été choisies chez tous les artistes présentés les œuvres les plus simplistes dialectiquement parlant. Toutes les œuvres jouaient sur des oppositions binaires fond/forme (à l’exception de quelques-unes) formant alors un ensemble assez baudruché, à l’image de la pièce de Loris Gréaud, s’enflant et se dégonflant au milieu de l’espace central. Seul peut-être Saadane Afif a pris en compte le contexte pour produire une œuvre subversive dans le contexte global de l’exposition. Et encore, qui avait besoin d’une touche de cynisme supplémentaire, en de telles circonstances ? Le propos n’était-il pas seul déjà suffisamment dépressif et facticement festif, comme des gens qui se forcent à faire une fête sous prétexte que c’est le nouvel an et qu’il faut absolument fêter quelque chose ?

En même temps je suppose que ce que nous enseigne « Notre histoire » est finalement bien plus large que ce que l’exposition elle-même communique. « Notre histoire » mets en scène et cristallise en fait toutes les angoisses, les inquiétudes, les espoirs et les travers d’une scène française en constante émergence, car c’est bien cela son problème.
Ce qui ressort en premier lieu, c’est clairement une volonté affirmée de montrer que l’art français peut rivaliser en spectacularité et en qualité avec les grandes productions artistiques internationales, notamment allemandes, anglaises et américaines. Les artistes ont certainement envie de se démarquer de cette image conceptuelle et surtout, inachetable ! qui leur colle aux basques depuis Buren, Klein, support/surface, mouvements auxquels semblent d’ailleurs s’être arrêtés les collectionneurs d’outre-atlantique. Intention louable donc, et de surcroît partiellement en train de se réaliser (l’art français s’est plutôt bien vendu cette année, entre la Fiac et l’Armory Show). Le problème, c’est que le tout donne alors une impression étrange, celle que la France découvre le Pop en 2006 !
Ensuite, et cela est plutôt un point positif, l’exposition rend compte de l’envie des plasticiens de discourir sur le monde actuel dans tout son pragmatisme, dans toute sa complexité, avec son économie, ses gens, ses injustices, ses victoires et ses échecs, et de penser des utopies rêveuses ou actives, c’est selon, mais surtout proposant l’alternative. Enfin, si on se base sur les production habituelles des artistes présentés. Car les pièces elles-mêmes, je l’ai déjà dit, ne sont malheureusement pas les plus à même d’exhorter la virtuosité de leur auteurs.
Quant au parcours de l’exposition, il pêche par son… absence ! Les œuvres sont simplement juxtaposées sans souci d’articulation dialectique : les commissaires rêvent-ils de n’être que des simples « montreurs d’œuvres », auraient-il peur d’articuler un propos intellectuel quelconque ? Ou ont-il simplement envie de dédramatiser l’aspect un peu trop « intello » de l’art contemporain? De dire oui, nous sommes des marionnettes inoffensives et creuses, ne nous tuez pas, nous n’avons rien à dire ?

Pour conclure, si c’était la véritable question posée par « Notre histoire », l’art contemporain français a t’il sa place dans le réseau mondial ? Certainement, s’il assume sa part conceptuelle et énigmatique et ne se dilue pas dans un propos formel et pop qu’il ne maîtrise pas, de façon conceptuelle. L’art français doit assumer ses faiblesses et revendiquer ses particularités. C’est ainsi qu’il pourra se battre sur le marché international et diffuser ses propos pertinents et délicats, au demeurant. La France a toujours été une exception culturelle et a toujours eu un regard particulier sur le monde et c’est une place qu’elle doit conserver avec fierté. C’est ainsi que politiquement, n’en déplaise à monsieur Villepin, elle trouvera sa place dans le rayonnement international, en trouvant sa propre voie et non en copiant de façon dévoyée les modèle anglo-saxons qui de toute façon ne peuvent s’adapter au moule gaulois, contestataire par essence.

L’idée est alors que « Notre Histoire » est un formidable miroir de la situation actuelle de l’art français, et que nous serions bien idiots de ne pas en tirer des leçons et qu’il faut maintenant choisir son camp. Oeuvrer pour un art particulier peut-être parfois marginal en regard des marchés internationaux, c’est cultiver notre différence, proposer une alternative de pensée et de forme, car conserver la fonction critique de l’art n’est elle pas une des choses les plus importantes ? L’art n’est-il pas un des plus beaux outils pour appréhender le monde et ses réalités qui nous échappent ? Ne laissons pas les artistes se vendre et se soumettre à des règles qui ne sont pas les leurs. Ils doivent pouvoir conserver leur intégrité et leurs envies sans avoir peur de déranger ou d’être incompris. Le marché redémarre un peu et le public semble commencer à s’intéresser à notre monde mais ce n’est pas une raison pour se comporter comme des enfants en mal d’attention et nous mettre à nous tortiller timidement et dire ce que l’on attend que nous disions. Ne tombons pas dans le désir de plaire. Si la France a toujours eu une particularité, sinon un défaut, cela a toujours été de pouvoir dire haut et fort ce qu’elle pensait, quand bien même c’était contre tous, quand bien même elle avait tort. Alors, le Gaullisme comme salut de l'art contemporain français? C'est Sarko qui va être content.

28 mars 2006

Von Mäusen und Menschen

Un conseil: si vous passez par Berlin, ne ratez pas la Biennale, aux manettes de laquelle se trouvait cette année Maurizio Cattelan, Massimiliano Gioni et Ali Subotnik.
"Of Mice and Men" est vraiment une grande leçon de curatoriat, les oeuvres sont belles, finement choisies, le parcours et son insertion dans la ville est cohérent et vraiment émouvant, le tout est puissant, bien pensé, on en ressort vraiment ébahi par le show, peut être une des expositions qui fera date les dix prochaines années!!
Je pense que John Steinbeck n'aurait pas honte de l'emprunt fait à son oeuvre, vous me connaissez, je n'ai pas l'habitude d'être dithyrambique, loin de là, mais voilà, il fallait le dire.
Merci Maurizio, merci Massimiliano, merci Ali.
Food for thought...
Je vais me remettre à bosser moi, tiens. J'y crois encore.

14 mars 2006

Sur le travail d'Alexandre Meurant

Texte rédigé à l'occasion de la parution du catalogue présentant le travail effectué en 2004/2005 au Chateau de Lourmarin, Provence

Je rencontrai le travail d’Alexandra Meurant par hasard, au détour d’un couloir de l’école des Arts Décoratifs de Strasbourg, où nous effectuions toutes deux nos études il y a quelques années. Deux grands tirages photographiques noirs et blancs séchaient, solidement arrimés à une grande planche de bois par des morceaux de scotch brun. Ils représentaient tous deux une jeune fille, en train de manger une glace, à la différence près que sur un cliché elle regardait quelque chose dans le hors champ, et que dans l’autre elle fermait les yeux. On passait avec facilité d’un cliché à l’autre, hop, yeux ouverts, yeux fermés, comme dans un moment fugace dont on saisissait avec clarté la fraîcheur et la simplicité, la saveur citronnée de la glace, la chaleur du soleil, la distraction de la foule derrière. La rencontre avec la fille à la glace, hop, yeux ouverts, yeux fermés, me poursuivit quelques jours encore ; puis, les photos sèches, elles disparurent et ainsi s’acheva ma première rencontre avec le travail d’Alexandra.
Cette première rencontre me donne a présent matière à éclairer le reste de sa pratique, à la lumière de cette histoire de rythme et de visage.
Bien sûr, Alexandra développe en premier lieu une pratique de portrait. Le visage humain et les différentes façons dont on peut le capturer en image sont pour elle source de créativité sans cesse renouvellée : diptyques yeux ouverts, yeux fermés, mais aussi portraits d’enfants, d’amis, d’inconnus (mariés et acteurs, Alexandra s’attelant au portrait de commande avec une fraîcheur et un enthousiasme foncier), et surtout d’habitants d’un village de Provence où elle effectua une résidence deux ans durant, Lourmarin.
A Lourmarin encore, où elle photographie avec constance et curiosité les habitants un par un, le maire, le boulanger, l’épicier, les vieilles dames discutant, les enfants et les parents, le postier et les jeunes du village, l’écrivain farfelu et le restaurateur épicurien, on peut encore sentir cette histoire de rythme, l’instant délicat de la pose, figée avec spontanéité entre deux instants fugaces. Le talent de la photographe est alors de nous faire sentir cette vie, l’instant où le modèle, en confiance, peut tout aussi bien fermer les yeux en une offrande faite à la vérité de l’appareil photographique.
Cette envie de regarder véritablement, en toute objectivité, pourrait en fin de compte se reformuler en disant qu’Alexandra Meurant photographie le visage comme un paysage.
Cette constatation l’amène alors, dans un souci de curiosité théorique, à effectuer le trajet inverse : dernièrement, elle s’attache à photographier, dans le même souci diptyque qui révélait déjà tant de choses dans les clichés jumeaux de la fille à la glace, les paysages comme des visages.
Alors voilà : Alexandra fait à présent des photographies appartenant au genre (parfois dévoyé parce que considéré à tort comme platement commercial), de la photographie de décoration. Alexandra photographie maintenant des intérieurs, avec sensibilité, consciencieusement, comme elle acceptait avec une intelligence rare l’aspect contraignant du portrait de commande, en tant qu’il génère un mode de relation particulier entre le modèle et le photographe. Elle s’intéresse maintenant au lieu de vie de ses modèles. Dans ceux-ci elle traque les petits signes d’usage, qui maintiennent un intérieur en vie et décèlent la présence discrète de leurs propriétaires, les petites manies, les conforts rassurants. Alexandra fait cela avec délicatesse ; ainsi lorsqu’elle arrange côte à côte le portait de Hervé, un artiste français installé à Berlin, à côté d’un cliché de son intérieur, platine vinyle désuète, piles de disques français appuyés avec mélancolie sur le rebord de la fenêtre, dans une lumière de contre-jour évoquant un froid milieu de journée dans le nord de l’Europe, le visage que nous découvrons ne nous est pas inconnu ; ses yeux ont contemplé cette fenêtre pâle, l’appareil solitaire, tout comme nous sommes en train de le faire simultanément, dans un triangle parfait entre modèle, photographe, et spectateur.
Maintenant, vous pouvez peut-être vous amuser à saisir les mouvements des habitants de Lourmarin, puisqu’il s’agit d ‘eux ici, à la lumière de ces considérations sur le travail d’Alexandra. Non qu’il s’agisse d’une pratique conceptuelle que la sienne : les clichés se livrent d’eux même et avec franchise, recourant à une énergie visuelle et à une maîtrise technique de la photographie remarquable. Mais ce fond théorique, cette interrogation intrinsèque et accompagnant toujours l’aspect pratique du geste photographique, permet à Alexandra de saisir avec une sensibilité et une honnêteté rares l’humanité de ses modèles, avec un souci pictural n’étant pas sans rappeler les nobles préoccupations du médium par lequel elle a d’abord commencé, la peinture.

10 mars 2006

Thomas Barbey, l’Humaniste Globalisé

TELA TOTIUS TERRAE
Une exposition de Thomas Barbey à La Vitrine, Galerie de l'Ecole des Beaux Arts de Cergy Pontoise, Paris, du 10 mars au 1er avril 2006

La traduction du terme world wide web en latin peut prêter à sourire tant le procédé peut paraître coquet, mais elle renseigne sur le projet intellectuel d’une exposition rigoureuse, tentant de rendre compte du jeu de ping-pong incessant entre signifiant et signifié, contenants et contenus, objet et représentation, que la typologie actuelle des réseaux d’informations fait subir à la réalité selon le principe très webbien du lien hypertexte.
Le latin fait ici référence à une conception traditionnelle du savoir de type Encyclopédie des Lumières, et devient le symbole d’une époque révolue où le fantasme d’une connaissance exhaustive et répertoriée du monde paraissait encore réalisable. Ce projet intellectuel délicieusement poétique par son anachronisme même, et voué à un inéluctable échec, offre une continuité au personnage mythique de l’érudit que Thomas Barbey reprend à son compte et réactive de façon absurde au sein d’une sorte de Cabinet de Curiosités moderne.
Nous suivons alors dans Tela Totius Terrae un fil thématique digressif (toujours selon ce principe de l’hyperlien de type j’ai de la chance 1), établissant des connections plus ou moins aléatoires mais étrangement pertinentes entre des œuvres diverses aussi bien par leur format, que par le médium utilisé ou le sujet évoqué. L’exposition réussit le tour de force d’allier la réussite plastique de ses pièces à une légèreté exquise, abordant sur le ton de la badinerie intellectuelle quelques-unes un des plus hénaurmes problématiques phénoménologiques de ce début de XXIe siècle.
La vidéo présentée sous le titre de Mars Global Surveyor fait état de l’échec des techniques de représentation scientifique à restituer toute l’excitation populaire ayant présidé à la conquête de l’espace : désespérément lente et anti-spectaculaire, la vidéo se montre délibérément déceptive autant par son aspect formel (uniforme), que sa longueur (rédhibitoire), ou la source de ses images mêmes (trouvées sur Internet, donc Low Tech par essence). La nonchalante poésie du travelling d’une heure vingt fait écho à Dans ce monde flottant, collage de plans de ballons issus d’une série d’animation japonaise, Olive et Tom, datant du milieu des années 80. Dans cette pièce où la référence à la série d’origine reste très forte (le ballon y étant l’enjeu cristallisé d’affects sportifs et sociaux dépassant le cadre de la simple partie de football), l’artiste nous délivre par le biais du montage de la question angoissante du devenir de la balle, invitée à errer de façon joyeusement anthropomorphique dans un ciel plus ou moins ensoleillé. Une autre rotation nous est présentée sous les traits d’une version informatique du célèbre cercle chromatique, que l’artiste montre de façon de plus en plus accélérée, jusqu’à ce que la faiblesse de notre rétine nous condamne à percevoir ses couleurs lumineuses sous les traits d’un gris uniforme. Ce jeu de perception nous amène à considérer la sérigraphie murale intitulée Thorn, représentant une nomenclature de dessins techniques d’ampoules de cette marque. Réalisée à l’encre phosphorescente, l’œuvre ne devient visible que lors de la fermeture hermétique de la galerie à toute source de lumière extérieure, condition bien évidemment non réalisée en temps normal d’exposition. On retrouve un peu de coquetterie dada dans cette pièce oxymorique dont la sensibilité est proche de celle d’ Air de Paris 2 de Marcel Duchamp : c’est que Thomas Barbey nous sait amateurs de retournements, et aime à flatter nos instincts de traqueurs de ready-made dans le sens du poil. Les deux dernières pièces, Graffiti et Gorefont, consistent en la représentation de différents noms de deux genres particuliers de typographies (imitation graffiti pour l’un et évoquant l’univers des films d’horreur pour l’autre) au mur, soit bombés au pochoir, soit collés sous forme de stickers, et ce dans leur casse même. Double affirmation aboutissant à un affaiblissement du sens: le nom sensément évocateur de la qualité thématique de la typographie, lorsque mis en scène par le moyen de son apparence caricaturale même, se pare d’un aspect citationnel comique, de l’ordre de la private joke. Réflexion un peu amère sur la fin des utopies urbaines, quand l’espace de la rue paraissait encore investi d’un certain pouvoir de contestation : maintenant les murs disponibles à l’expression sont dans les galeries d’art, et de plus investis par des grapheurs du dimanche comme Thomas Barbey qui utilisent des typos trouvées sur Internet et n’ayant de rebelle que le nom.
On peut se demander maintenant où nous a mené cette petite promenade dans cette Telia Totius Terrae : nous avons marché sur les chemins ténus de la représentation, enjambé les classifications stylistiques pour zigzaguer entre savoirs populaires estimés et informations Internet dévaluées ; nous avons traversé des champs lexicaux anecdotiques et parcouru de vastes paysages numériques, et le pire, ou le mieux c’est au choix, c’est que nous sortons bien dépaysés de cette expérience, encore tout tourneboulés par la pensée que ces planètes ici si lointaines sont en fait à portée de main, sont faites de tant de matériaux connus.
Finalement Thomas Barbey réalise ici un projet séculaire de l’art, un enjeu que ni l’époque contemporaine ni le classicisme ne peuvent se dénier l’un à l’autre, c’est celui de la transformation du Réel en l’Oeuvre, épiphanie sans cesse renouvelée et surprenante. Montrer la réalité autrement, réinvestir le champ de la quotidienneté la plus triviale sous un autre angle, permettre au spectateur de considérer les objets constituant le monde comme étrangers à leurs usages et fonctionnalités usuels : en bref, redonner un peu de pouvoir apollinien au peuple désemparé par l’assaut des barbares dionysiaques 3… Voilà un véritable projet d’humaniste ! et dont la tonalité un peu old school ne nuit pas, au contraire, à l’efficacité avec laquelle la Toile Mondialement Etendue de Thomas Barbey nous prend dans ses filets.



NOTES

1 La touche j’ai de la chance sur Google, emblématique du moteur de recherche à ses débuts, délivrait un seul résultat par recherche, se dégageant ainsi par un pied de nez du principe d’exhaustivité typique, justement, du moteur de recherche.

2 Air de Paris, œuvre de 1919 constitué d’une ampoule de sérum physiologique vidée et scellée à nouveau, contenant donc un peu du fameux « air de Paris ». Cette ampoule fut envoyée à New York comme cadeau de Duchamp à deux de ses amis collectionneurs, les Arensberg.

3 voir à ce sujet La Naissance de la Tragédie, de Friedrich Nietzsche

Whitney Biennale NY 2006

Been at the Whitney Biennale this week end, and felt so depressed!!
It is just such a conservative position!!
Vraiment réactionnaire, spiesser comme diraient les allemands... une bonne conscience à quelques dollars pièce... des petites têtes de Bush ici et la comme rappels d'un engagement tarte à la crème... petits dessins sur les minorités... eeeeek!! comme dirait les Américaines.
Vraiment cheap et flippant!!!
Bon je m'emporte
J'aime quand même NY...

01 mars 2006

Orcaille au Béton Salon

Orcaille est un film en cours de réalisation réalisé par le collectif Orpaille.
Il sera montré en avant première au Bétonsalon Paris du 18 au 28 Mai 2006, lors de l'exposition du même nom dont j'assure le commissariat.
Dans ce cadre je suis en train de rechercher des financements nécessaires à son élaboration, sa promotion et la confection d'un catalogue.
Ce projet est le premier soutenu par une structure que je viens de fonder, Mayeutik, association de promotion et de production d'évènements artistiques.

Informations diponibles sur http://orcaille.free.fr

28 février 2006

Les veritables enjeux de la delocalisation museale / Ete 2005

(Enquête menée de durant l'été 2005)

Le Centre Pompidou et le Louvre ont annoncé il y a un peu moins d’un an la création d’antennes à Metz et Hong Kong pour le premier, et à Lens et à Atlanta pour le second. Ces ouvertures, prévues respectivement pour 2007 et 2009 pour les antennes françaises, ont été annoncées et discutées dans la presse de façon très discrète. Quelles ont été les raisons de cette discrétion pour ce qui s’apparente pourtant à un événement majeur dans le paysage muséal français et européen ? Et quels sont les réels enjeux des délocalisations de ces deux « poids lourds » de la culture « made in France » ? Enquête.
Pour répondre à ces questions, examinons les arguments présentés dans les différents communiqués de presse des deux musées annonçant ces nouvelles.

Premier argument invoqué, une gestion plus « rationalisée » des œuvres. À Metz, il s’agirait de mieux mettre en valeur la collection pharaonique du Musée d’Art Moderne et Contemporain, dans un souci de meilleures rentabilité et présentation des œuvres au public. En effet, avec une superficie de 12000m2 pour 6000m2 de salles d’expositions, le Centre Pompidou II permettra une meilleure rotation des réserves du MNAM, qui se trouvent à l’étroit dans le bâtiment parisien conçu par Renzo Piano et Richard Rogers, inauguré en 1977. Ces œuvres stockées coûtent cher à entreposer, et ne rapportent rien tant qu’elles ne sont pas accrochées. Pour mémoire, en 1988, avant que le Guggenheim n’entreprenne d’ouvrir des succursales aux quatre coins du monde, seulement 3% de ses œuvres était accessible au public. Dans le cas du Centre Pompidou ce pourcentage est certainement encore inférieur. Avec l’ouverture du centre de Metz, l’institution verra ses coûts de conservation répartis sur les deux villes, pour un bénéfice commercial multiplié par deux. L’ouverture d’une antenne en Chine résulte de cette même logique commerciale.
En revanche, le problème du Louvre est un peu différent. En effet les réserves du Louvre ne sont pas inépuisables, et le musée a déjà réparti nombre de ses pièces les plus intéressantes dans les musées des Beaux Arts de province, véritables petites « antennes » avant l’heure, le nom prestigieux en moins. Quelle est alors la raison d’être du futur centre Lensois ? Le partenariat avec le High Museum d’Atlanta, quant à lui, répond vraisemblablement à un appel du pied des Américains, désireux eux aussi d’appâter les foules avec leur lot de pièces « Renaissance ». Moyennant finance, naturellement.
Tous ces arguments financiers seraient bien légitimes s’ils ne mettaient pas les collections en danger. Une telle gestion fragmentée favorise la détérioration des œuvres. Pourquoi les conservateurs, hier opposés au prêt d’œuvres fragiles pour des expositions temporaires, sont-ils aujourd’hui d’accord pour faire circuler des œuvres parfois uniques d’une région, voire d’un continent à l’autre ? Les œuvres contemporaines sont parfois accompagnées d’une notice prévoyant leur reconstruction technique en cas de dommage (c’est le cas de nombreuses pièces de Donald Judd, par exemple, dont certaines n’existent d’ailleurs que sur le papier). Mais ce n’est pas le cas de la majorité de pièces du Louvre, qui sont uniques et donc, irremplaçables. Les statuts du Musée prévoyant en sus que la durée des prêts d’œuvres à l’étranger ne peut excéder 10 mois, des transports renouvelés de ces œuvres fragiles sont à craindre.
Cette circulation abusive des pièces léguées à des fondations et institutions bien précises, pose également un problème d’ordre juridique et moral vis-à-vis des donateurs et de leurs familles. Certaines ont déjà retiré des œuvres dont les conditions de donation n’avaient pas été respectées, de collections publiques. Alors que l’on s’apprête à disperser des collections, assemblées en tant qu’entités au nom de choix artistiques bien précis, aux quatre coins du monde, l’on peut se demander quelle serait la réaction de Salomon R. Guggenheim apprenant que ses tableaux favoris sont montrés aux badauds à Venise, Bilbao, Berlin, et bientôt Pékin. Se retourner dans sa tombe, peut-être.

Le deuxième argument avancé dans les missions des futures antennes est de partir à la conquête de nouveaux publics. Si Mahomet ne vient pas à la montagne…
Bien sûr, les deux villes élues, Metz et Lens, sont situées à des confluents européens évidents, quoique pas vraiment novateurs. Évoquant les habituels publics belge, danois, hollandais, allemand, et même anglais, les missions nous font même miroiter la venue d’un « nouveau public de l’Est », pour le Centre Pompidou II. Pour le Louvre il s’agirait plutôt de courtiser le public français, seulement 33% de ses visiteurs annuels. Quant au public d’Hong Kong et d’Atlanta, il est supposé acquis à l’évidence des loisirs culturels. Bien sûr sous couvert de revenus suffisants qui leur soient alloués (évident pour Atlanta, moins pour Hong-Kong, bien qu’en avance sur le reste de la Chine).
On peut quand même s’étonner du choix de la ville de Lens. L’Ile de France n’est qu’à deux petites heures de voiture de là ; le Musée des Beaux Arts de Lens est déjà nanti de quelques chefs d’œuvres du Louvre dont certains sont même en réserve ; le Musée de Lille, à 30mn d’autoroute, est superbe ; sans compter le FRAC, les Ecoles d’Arts et leurs galeries… c’est simple, le Nord Pas de Calais est la région de France la mieux lotie en institutions culturelles. N’y aurait-il pas comme une incohérence?
Le troisième argument, d’ordre politique et social cette fois, est encore plus surprenant : l’implantation de ces mastodontes de la culture serait censée développer à coup sûr l’économie de la ville et de la région d’accueil. Pourtant, cette assertion relève plutôt du pari : en effet ce sont la ville et la région qui financent quasiment à 100% la construction et la maintenance du site, le musée principal attendant simplement sa part des bénéfices commerciaux (dans le système des franchises de 3 à 9%). On souhaite donc à la ville de Metz (heureuse élue parmi les autres finalistes pour être la candidate la moins endettée) un destin à la Bilbao. La succursale estampillée Guggenheim fête ses quinze ans d’existence, et a trouvé son public dans une région en manque d’institutions culturelles, et ce grâce à la forte implication de ses acteurs locaux.
Car ces derniers s’acharnent à décrocher de tels chantiers pour leur ville : autant de transformations d’envergure qui, pensent-ils, assoiront leur postérité. Même si une fois consultés les habitants (et les forums Internet !) se révèlent être souvent plus que sceptiques, voir opposés au projet (le fameux syndrome des Jeux Olympiques).
Les antennes de l’étranger seront quant à elles certainement bénéficiaires financièrement. En revanche, la légèreté dont fait preuve l’état en éparpillant des trésors nationaux dans le monde entier et sans consulter la population, est encore un autre débat que l’on aurait bien aimé voir s’ouvrir.

Car toutes ces décisions proclamées avoir été prises à l’unanimité (laquelle?) se sont faites avec une discrétion peu commune pour des entreprises de cette ampleur.
Les informations officielles sont restées très vagues : un article du Monde fait état de 100 pièces prêtées au Musée d’Atlanta, quand certains communiqués internes évoquent le chiffre de 600 pièces ! Les différents accords ont été tenus secrets jusqu’à leur signature, avant d’être enfin révélés au public, censé approuver sans mot dire ces décisions qui relèvent pourtant du patrimoine national et donc de chacun.
La presse ne s’est fait l’écho d’aucune polémique sur le sujet, comme si tous les acteurs de la scène artistique française étaient tenus par un accord tacite. Seul Didier Rykner parvient à publier dans un « Point de vue » du Monde du 19 janvier 2005 un article clairement contre, et ce dans l’indifférence quasi générale. Il est vrai que le débat était alors passé d’actualité : le Louvre ayant rendu publiques ces décisions depuis plusieurs mois déjà et le Centre Pompidou les accords finaux avec Metz le 16 décembre 2004. Même la presse spécialisée s’est gardée de tout commentaire, sinon faussement enthousiaste : des consignes particulières auraient-elles été discrètement données aux journalistes ?
Etrangement, les pouvoirs publics se sont fortement désengagés de toute décision à l’échelon national. Ils ont laissé faire à chacun leur propre « petite cuisine », se contentant d’entériner les décisions quand un accord budgétaire satisfaisant avait été trouvé. Ainsi, le projet d’antenne du Louvre à Atlanta est d’abord le projet de leurs deux directeurs ; Henri Loyrette au Louvre et Michael Shapiro au High Museum d’Atlanta (une complicité qui date du temps où Loyrette, alors directeur du musée d’Orsay, s’était montré compréhensif quant au prêt de certains trésors impressionnistes en territoire US). Des décideurs bien renseignés sur ce genre de pratiques et convaincus que le modèle des musées d’art américains est le moyen de rentabiliser les musées « dinosaures » d’Europe et de valoriser le patrimoine unique du Vieux Continent.

Il s’agit donc de faire de la « rentabilité ». Un mot qui, dans le paysage français, ne fait habituellement pas bon ménage avec « culture ». On comprend dès lors la réticence des médias à attirer l’attention du public sur le fait que les grands musées nationaux français sont financièrement aux abois, et que la seule solution envisagée pour les redresser est d’appliquer le modèle de gestion des musées à l’Américaine.
Car les faits sont là. Si les institutions culturelles françaises manquent de budget par définition, certaines, comme le Louvre, sont dans une situation véritablement catastrophique.
Le Louvre doit en effet financer quelques 40% de son budget de façon autonome depuis deux ans, quand autrefois la totalité de ses frais de fonctionnement étaient pris en charge par la collectivité. Le Musée en est réduit à supprimer la sacro-sainte gratuité aux enseignants et artistes, et à augmenter ses tarifs de façon significative (jusque-là très inférieurs à ce qui se pratique chez ses homologues européens). Acculé, il devait trouver une solution financière viable et c’est celle de la création d’antenne qui a été choisie. Il n’est pas le seul : un autre joyau du patrimoine européen, le Musée de l’Hermitage à St Petersbourg, a été lui aussi obligé de prêter quelques-uns de ses plus grands chefs d’œuvres au Guggenheim moyennant finance pour survivre aux coupes drastiques de son budget après la chute de l’ex-URSS.
Le cas est différent pour le Centre Pompidou, dont les coûts de fonctionnement sont bien moindres (les œuvres contemporaines restent relativement bon marché à acquérir), et qui cherche seulement à rentabiliser au maximum ses collections. L’ouverture de commerces annexes installés dans le centre, restaurant, librairies, cafétérias, boutiques de souvenirs divers, promettent aussi d’être une alternative intéressante au revenu du seul billet d’entrée. Comme à Disneyland.

Car le but de tout cela, et nos amis américains l’ont bien compris, c’est de faire de la culture un business comme les autres. Et c’est (presque) possible.
La stratégie du Guggenheim, pionnier en la matière, est exemplaire. Quand dans les années 1990 son directeur Thomas Krens décide de la création du centre de Bilbao (achevé en 1997), il ne fait qu’appliquer le système des franchises, fleuron de l’économie de marché de la décennie 80 aux USA (35% de la distribution au début de la décennie 90). Et les résultats sont là : il peut rembourser les dettes contractées les années précédentes, et lancer un nouveau prêt destiné à rénover le célèbre bâtiment de Frank Lloyd Right, désormais sorte de « marque de fabrique » de la nouvelle multinationale culturelle qu’est devenue la Fondation Guggenheim.
La règle d’or de ce modèle est d’exposer le plus d’œuvres possible, dans le but de maximiser le nombre de visiteurs par œuvre, donc d’entrées, donc de recettes. Une œuvre en réserve est une œuvre qui ne rapporte pas d’argent. Sans compter tous les marchés adjacents au fonctionnement du musée : boutiques de souvenirs, produits dérivés (T-shirt, mugs, cartes postales…), librairies, bars, restaurants, cafétérias, aux emplacements gérés soit par le musée soit par d’autres franchises.
Un autre élément important de cette stratégie est la construction du bâtiment lui-même : il se doit d’être un temple grandiose érigé à la culture pour remplir sa fonction dans le fantasme culturel collectif. Les concours pour les constructions d’antennes accueillent les architectes les plus en vue du moment, et réciproquement la construction d’un musée prestigieux est source de renommée et de contrats pour l’architecte. Il n’est à ce titre pas surprenant d’apprendre que l’aile du musée d’Atlanta destinée à accueillir les collections du Louvre devrait être construite par Renzo Piano. Certainement pas par hasard.
Faire de la culture une entreprise, et lucrative qui plus est : les institutions culturelles françaises sont les premières institutions publiques à sauter le pas (le Guggenheim aux USA et la Tate Modern en Angleterre sont des fondations privées). Et semblent s’adapter très vite au capitalisme sauvage : s’étant fait damer le pion en Chine par le Guggenheim, le Centre Pompidou riposte quelques mois plus tard en annonçant la mise en place d’accords pour la création d’une antenne à Hong-Kong. Même le modeste Musée Rodin va avoir son « Musée Rodin II » au Brésil : l’engouement semble dont généralisé.

Dès lors que la décision est déjà prise, que faire ? Pétitionner ? S’enchaîner aux œuvres ? Et refuser drastiquement tout changement à la traditionnelle politique française de « la culture gratuite pour tous ? »
Rien de tout cela. La crise budgétaire actuelle obligeait de toute façon à repenser le système muséal français. On ne peut que déplorer que ces décisions se soient déroulées dans l’ombre et de façon un peu hypocrite, disons-le franchement, du moins sans réel débat public et sans consultation d’une commission de professionnels (de l’art comme de la gestion d’entreprises).
Résumons déjà la situation telle qu’elle se présente : la délocalisation muséale en elle-même pose les problèmes qui ont été évoqués précédemment. De plus, elle en pose d’autres d’ordre éthique : le geste muséal, par la construction d’infrastructures imposantes, transforme durablement le patrimoine architectural et culturel d’une ville. Ces constructions sont parfois mal accueillies du public : on se souvient de la suspicion première des habitants de Bilbao vis-à-vis de l’étincelant vaisseau construit par Franck Gehry pour le Guggenheim. En transférant d’une ville à l’autre des patrimoines souvent séculaires, on appauvrit les sites d’origine et on froisse certaines fierté régionales et nationales légitimes, tout en complexifiant la gestion des œuvres. Ce processus s’exerce conformément à l’émergence d’une croyance individualiste selon laquelle chacun aurait droit à son Rembrandt, son Matisse, son Picasso…et qui ne prend pas en compte les dangers inhérents à leur transport et à leur conservation.
Si l’on veut être honnête, l’adoption du système de gestion des musées à l’américaine a au moins un avantage : il a fait ses preuves, et rendu aux musées une rentabilité et une liberté financière incontestables. Mais il est loin d’être irréprochable, d’un point de vue social comme d’un point de vue de la gestion des œuvres. A nous européens d’adapter ce système et de le faire nôtre, afin de pouvoir assurer son efficacité et ainsi justifier le bien fondé de notre service public à la française.

Pour cela, quelques précautions et suggestions : nommer des commissions indépendantes de commissaires et techniciens destinées à veiller sur l’application des normes de transport et de sécurité des œuvres entre les antennes, afin d’éviter des problèmes de détérioration ou même de perte (véridique !) d’œuvres. Le Centre Pompidou est sans doute le pionnier dans ce domaine puisque qu’il vient d’annoncer la mise aux Normes ISO 9001-version 2000 de son service de régie des oeuvres en décembre 2004 : il est le premier musée du monde à se soumettre à un organisme de normalisation extérieur pour garantir un service encore plus fiable.
Ensuite, penser véritablement l’espace adéquat au bon accrochage des œuvres et non l’espace où l’on peut montrer le maximum de pièces : nombre de visiteurs se sont plaints du « nouveau » MoMA réouvert en 2004, où, à force de rentabiliser l’espace, on arrive à de petites cellules où aucun recul n’est possible et ou les oeuvres étouffent faute d’espace suffisant.
Enfin - et c’est là que se joue une des cartes de l’Europe vis-à-vis de l’Amérique – il faudrait refuser le système des franchises (à la Starbuck café et compagnie) et garder un vrai service de qualité et bon marché pour permettre à tous de se cultiver et surtout de se restaurer à un prix honnête, et faire en sorte que ces rentrées d’argent supplémentaires participent à une meilleure politique d’accès au musée pour tous. Car n’oublions pas que le principal écueil du système muséal à l’américaine est qu’à force de garder en tête le profit et toujours le profit on barre l’accès au musée à toute une catégorie de population, trop intimidée ou trop pauvre pour se payer une journée au musée, journée onéreuse si on compte les entrées, le restaurant le midi si le musée est grand, ou du moins un café après l’exposition, plus la librairie, les souvenirs si c’est une journée évènement… Autant finalement que dans un parc d’attractions classique. A fortiori si comme le Centre Pompidou vous choisissez la société Costes, peu réputée pour le bon marché de ses prestations, pour gérer tous les établissements de restauration de votre institution.
En bref, peut-être est-il possible de faire en sorte en France que le marketing soit au service du service public et non l’inverse.
On pourrait aussi commencer l’éducation à l’art contemporain plus tôt, emmener les enfants des écoles dans ces musées, proposer des ateliers artistiques systématiques. On « fidélise » ainsi une clientèle qui sera au rendez-vous toute sa vie, et c’est un moyen sûr d’attirer au musée tout une population qui ne s’y serait jamais aventurée autrement : un enfant qui a aimé une oeuvre va essayer à coup sûr d’amener ses parents pour leur faire partager une émotion dont il aura fait la découverte par lui-même (c’est à ça que sert l’école : rendre possible des expériences autonomes). Car tout mettre en œuvre pour instaurer les conditions d’une véritable rencontre entre l’œuvre d’art et le spectateur devrait après tout être la règle d’or de tout musée, quel qu’il soit, Guggenheim ou pas Guggenheim.

Pourquoi les gens veulent ils passer a la tele? / Juin 2004

Où je tente de comprendre le mécanisme mystérieux de l'attraction télévisuelle...et digresse

-Parce que la société au mérite n’existe plus. Nous vivons dans une société du talent. Or le talent n’est pas quelque chose qui s’acquiert, il est inné. D’ailleurs de nos jours, on hait les laborieux (qu’est ce qu’il travaille !).
-Comment est on passé d’une société qui valorise le travail à une société qui valorise le talent ?
-Hypothèse 1 : les gens ont besoin de glamour, et le travail n’est pas glamour. Au delà du fantasme de la progression sociale est le fantasme de la noblesse (née pour régner) hors les hommes cherchent toujours des facteurs discriminants (donc ordonnants) pour organiser le monde.
En l’absence de noblesse aujourd’hui, la beauté (donc la télégénie) a été promue nouvelle noblesse. Vous êtes beaux -> vous êtes alors autorisés à sauter les échelles de la progression sociale.
Je suppose que les gens en ont marre de trimer pour rien. De nos jours en occident le système n’est pas fait pour favoriser le système de la réussite moyenne. Soit on réussit gros, soit on crève. Comme dit 50cents, « Get rich or dye trying ». Il n’y a guère que les milieux (finalement archi calqués sur le système moyenâgeux des artisans) artistique où surnagent les petites réussites (envie de se singulariser).
Les gens et les entreprises veulent réussir vite. Si t’as rien fait avant 30 ans, t’es foutu. L’expérience, on s’en fout. Tout est basé sur une sorte de croyance illusoire en le pouvoir de la jeunesse. Alors que paradoxalement jamais les jeunes n’ont été aussi mal traités.
Peut être en mai 68 en fait. Etant donné que les jeunes n'avaient rien le droit de faire, ils se sont rebellés et ont instauré de nouvelles valeurs profondément contre ce système de travail de mérite et d’expérience. D’où des choses innées et de toute façon fatalistes hyper ancrées dans la croyance païenne du destin. Le culte du corps, de la jeunesse, de la beauté (qui décline, certes, mais laisse sa chance à tout le monde au hasard de la génétique).
Il y a aussi peut être (sans doute) une fascination pour cette injustice. Un plaisir un peu masochiste à voir exciter sous notre nez ces chanceux, les jeunes les beaux, les choisis par la loterie. La société s’excite, à coup de choix injustes ou justifiés par de pseudo travaux (chanter dix heures par jour dans un château avec des stars).
Il semblerait dès lors qu’il y ait deux sortes de travail. Le travail « voulu » et le travail « subi ». Le travail voulu est signe de valorisation sociale au temps où le travail devient un luxe envié par tout le monde. Le travail subi est signe d’échec social (je fais comptable mais je voulais être chanteur).
La chanson et le mannequinat sont devenus ce que la guerre et la croisade étaient aux nobles (pour les beaux et talentueux).
Au fond la société du spectacle voudrait nous faire croire qu’elle est égalitaire (renvoyez votre bulletin découpé dans Télé 7 jours) quand elle justement profondément inégalitaire, dans sa promotion même.
Sans doute c’est l’informatique qui a permis ce passage à l’inhumain. Du temps du papier et des crayons, l’échelle inhumaine du billion semblait loin et peu tangible et il y a fort à parier que les pertes de la crise de 1929 qui forçaient les banquiers de cette époque à se jeter par les fenêtres feraient à peine stresser ceux de nos jours. Échelle différente sans doute. Oui mais différence importante.
Le passage de la microéconomie à la macroéconomie a sans doute broyé l’individu. L’Europe qui semble vouloir perpétuer ses erreurs en se comparant aux chinois s’embourbe certainement dans un méjugement colossal de ce que peut être la particularité de chacun.
Existe t’il un monde où nous trouverons tous notre place ? Il est quand même regrettable que malgré la taille de son cerveau l’homme soit tant sujet à des fluctuations d’instinct toutes animales.
C’est sans doute le concept même de vie citadine qui a conduit à la barbarie du milieu du Xxe siècle. Comment se soucier du sort de tous ces étrangers coexistants dans ce même endroit ? Quelques-uns de plus ou de moins…
Bref, en digressant, en digressant, j’arrive de nouveau à cette super question de la soirée.
Pourquoi les gens veulent ils passer à la télé ?
Par besoin extrême de reconnaissance. La reconnaissance sociale utilitaire du métier intégré au corps social d’antan ne fait plus son office (Il y a quatre boulangeries dans la rue, ce n’es plus utile ce sont des commerces comme les autres).
Les métiers ancestraux sont méprisés (la boulangère : Démeter ; le postier : Hermès ; le soldat : Mars ; la mère au foyer : Héra) et en tout cas plus indispensables.
Il n’y avait pas de dieu mythologique des cadres supérieurs !
Le cadre supérieur n’est qu’un maillon intermédiaire destiné à gérer (à digérer) le passage à la taille inhumaine de l’entreprise par le biais de l’informatique.
Il n’a aucune fonction symbolique dans la société. Il est démystifié d’avance, voué à la froide logique des chiffres. (note : bien que soumis au grand capital, ce qui est mis en cause ici n’est pas le système libéral, mais les passage à l’échelle billion, un phénomène identique se produirait (et s’est produit) sous des régimes communistes).
D’où un besoin impérieux de se faire avaliser par quelqu’un (ou quelque chose) car :
-Être parent ne signifie plus rien : les enfants sont rois.
-Dans l’entreprise le grand patron n’est jamais visible. Le petit chef est au pire un pauvre con qui ne comprend rien et au mieux un obstacle à franchir pour gravir d’autres échelons.
-L’église a disparu, et n’offre aucun refuge de conscience quand à mener un existence vertueuse.
-La publicité et les médias en général prônent une attitude de repli sur soi destinée à maintenir les mécanismes acheteurs basés sur la consommation -> le culte de la beauté participe de cette course à l’armement commercial.
-Les métiers réputés épanouissants sont l’apanage d’une petit élite recrutée par critères de connaissances et/ou de charisme. On fait croire aux autres masses que ces élites travaillent mais il suffit de s’infiltrer dans ce milieu quelques mois pour s’apercevoir du niveau d’incompétence où élève ce mode de recrutement, beauté/classe/talent/connaissance.
Seules 5% de ces agents culturels gagent décemment leur vie, et les autres se partagent les miettes et se gargarisent avec de pathétiques « je gagne mal ma vie mais au moins je fais un métier que j’aime » (repris en cœur à l’inverse par les cadres sup. qui n’ayant aucun talent/beauté/charisme rêvent de passer à la télé (syndrome : j’aurai voulu être un artiste, Balavoine).
Parce que la télé avalise. Entérine. Parce qu’elle présente au monde. La télé est une épiphanie permanente. Elle advient sans cesse. On a beau la savoir éteinte, on peut sentir son flot permanent ruisseler derrière le mystérieux écran noir.
Les gens n’ayant sans doute plus les moyens de prouver quelque chose par eux-mêmes, y ont totalement renoncé. Désormais, ils sont dans une simple énonciation de l’être, où montrer équivaut à réaliser, l’être ne vise pas à se dépasser, mais à se montrer comme il est, dans sa simple tautologie (je t’aime comme tu es).
La beauté est à cette lumière, un symbole confondant. Si notre société adule à ce point la beauté, c’est qu’elle est libérée en tout point de tout rappel laborieux. Elle est, elle advient simplement. Elle se livre immédiatement. Elle ne contient aucun sens, aucun message caché ou dangereux. Elle est le premier degré absolu. Parfait. La beauté ne pose pas de questions, ne cherche pas sa place. La beauté est évidente. Dans ce sens, la beauté est la plus fasciste des qualités. C’est pourquoi la beauté est fascinante. Elle est fascinante car elle est ce qui se rapproche le plus de la perfection, qui est la chose la plus fascinante pour l’homme.
Donc. Paradoxalement dans sa fonction révélatrice, la télé devrait montrer des gens ordinaires d’une façon extraordinaire. C’est peut-être la fonction traditionnelle de l’icône.
Passer à la télé fait de nous une icône aussi simplement que si votre nom avait été gravé dans la pierre. Seulement, le nom rapporte aux actes, quand le visage rapporte à la personne qui qu’elle soit et quoi qu’elle ait accompli (ou non).
Nous vivons dans une époque où la suprématie est accordée à la personne en tant qu’animal et plus en fonction de ses actes.
Avant 1789 une personne inutile (sans fonction sociale reconnue) était tolérée mais marginalisée, limite exclue. L’intériorité de la personne ne comptait pas.
Ensuite en proclamant la dignité de l’individu, de la personne, on lui attribue un intérêt inaliénable qui lui est propre, et indépendant de son statut social.
Paradoxalement, à notre époque on n’a jamais autant dénié aux gens le statut de personne.
Peut-être qu’être une personne c’est un entrelacs indémêlable de l’intériorité et de fonction sociale. Peut-être chercher à séparer les deux conduit à des situations extrêmes.

Mais qui est donc Pawel Althamer? / Janvier 2005

Texte écrit dans le cadre de recherches au Centre Pompidou, en vue de l'exposition de Pawel Althamer à l'Espace 315 en 2006.

Au travers d’une pratique artistique puisant ses sources dans la fascination du performatif et du corps, Pawel Althamer élabore une œuvre dérangeante et lucide, où se mêlent politique et poésie, préoccupation sociale et paranoïa créative.Althamer commence son travail dans les années 90. Sous l’égide de Grezgorz Kowalski, son professeur à l’Académie des Beaux Arts de Varsovie, il entreprend un travail parallèle de performance et de sculpture : des performances où il fait de son corps l’enjeu d’actions au caractère stoïque et vaguement ésotérique (s’immerger dans un caisson de plastique rempli d’eau d’où il ne respire qu’à l’aide d’une petite paille ; se travestir en bonhomme de neige et guetter dans le froid la réaction des passants ; fumer de la marijuana et monologuer trois heures dans une baignoire remplie de papier mâché refroidissant de couleur violette ; se dévêtir puis courir nu dans les bois et disparaître …) et des sculptures faites d’un curieux mélange d’herbe, de boyaux d’animaux et de cire, à l’apparence de vie inquiétante, parfaites illustrations de l’ “ uncanny ” si souvent évoqué par Mike Kelley . On peut penser que la sculpture (ou figurine) telle qu’elle apparaît de façon première dans le travail de Pawel Althamer, en tant que symbole littéral de la déliquescence du corps et de sa représentation, est ensuite reprise dans ses œuvres successives par la figure du SDF, de l’immigrant et du chômeur, au fur et à mesure que la conscience d’un corps social allant se dégradant se précise concrètement en tant que thématique dans l’ensemble de sa pratique.
Ces deux aspects primitifs de l’œuvre de Pawel Althamer (action et dégradation, voire disparition) sont fondateurs et se retrouvent tout au long de ses expositions et interventions.
Un premier aspect important de l’œuvre de Althamer est son rapport à la nature. Chez Althamer, la nature devient le symbole d’une sérénité perdue, et s’oppose à l’activité un peu vaine du monde de l’art, sans doute lui-même métaphore de l’agitation fébrile qui anime le monde. C’est ainsi que l’artiste propose au spectateur d’ouvrir la porte arrière d’une galerie et de s’enfuir dans la forêt ; de visiter un espace gonflable qui ne fait qu’emprisonner un morceau de jardin qui, privé d’air et de lumière, se dégrade lentement dans ce “ white cube ” artificiel ; de s’asseoir sur un simple banc de bois au détour d’un chemin forestier et d’admirer le panorama , voire de visiter un pigeonnier installé sur le toit d’une institution culturelle ...quand il ne s’échappe pas lui même pour vivre à la Robinson, dans une cabane sur les hauteurs d’un arbre et donnant sur la fenêtre de la galerie commanditaire de l’œuvre.
Disparaître donc, s’effacer , ou du moins être le moins présent possible, afin de réaliser le projet utopique d’une œuvre qui serait l’autonomie même : Althamer cultive le goût de la discrétion, teinté bien sûr d’une ironie à peine masquée envers la souveraineté du geste artistique. Souvent absent de ses vernissages (il était dans la cabane !) voire des ses œuvres elles-mêmes (invité par la DAAD en résidence pendant un an à Berlin, et trop préoccupé par ses soucis familiaux pour se consacrer pleinement à son projet artistique, il fait imprimer et coller à la va-vite des affiches à l’inscription “ unsichtbar ” (invisible) puis organise un petit dîner familial où sont invités quelques intimes, comme une sorte d’excuse), il invite souvent le spectateur à laisser vagabonder son esprit en dehors du champ de l’art (souvent au travers de la nature, voir plus haut : la porte arrière, les bancs…). Il transforme l’espace d’exposition en salle d’attente où les spectateurs peuvent fumer, regarder des cassettes, bref, méditer en terrain neutre et loin d’influences créatives considérées ici comme parasites à un état d’équilibre intérieur. Ou alors il s’efface au figuré, pour se mettre au service des “ vrais” gens : comme dans cette installation de 1994 où il demande à la gardienne de la galerie comment il pourrait rendre le travail quotidien de cette dernière plus agréable. Installée sur une chaise confortable, avec un transistor et une théière, celle-ci devient alors l’héroïne de cet artiste qui expose son intérêt pour les gens.
De là nous arrivons à un des aspects centraux du travail d’Althamer : l’utilisation (ou plutôt la participation) dans ses œuvres de corps de population défavorisés, que ce soient des SDF, des chômeurs, des immigrants polonais, ou simplement des résidents de quartiers populaires. Ces acteurs sont amenés à jouer plusieurs rôles dans son travail : un travail de parasitage, en premier lieu. Il invite des SDF à endosser le rôle de spécialistes de l’art dans un vernissage ; puis invite des chômeurs se réunissant traditionnellement dans une station de métro à faire de la galerie dans laquelle il est invité leur quartier général le temps de l’exposition. Aux USA, il invite un ami de lycée à lui, désormais résident américain et peintre en bâtiment de son état, à repeindre les murs de l’institution chaque jour d’une couleur différente : il invite, de façon très littérale, les américains à être les spectateurs du travail d’un immigré polonais. Quelquefois la métaphore se corse : il fait détruire la “ Wrong Gallery ” (fondée d’ailleurs entre autre par Maurizio Cattelan dont il partage le goût pour l’activisme politique, les marionnettes et l’ironie) par un gang de chômeurs eux aussi polonais, symboles d’un rêve américain déchu. Il les paye ensuite pour reconstruire le lieu, dans une métaphore de l’obsolescence programmée, moteur indispensable de l’économie des pays qui n’ont plus besoin de rien. Mais si ces partenariats tournent quelquefois à l’amertume (lorsque Althamer fait de SDFs des “observateurs” forcés pour le compte d’une publicité pour le journal de Varsovie), ils sont peut-être finalement porteur d’un message plus poétique et d’une volonté intrinsèque de réconcilier les communautés, comme lorsque Althamer demande en 2000 aux habitants d’un gros lotissement populaire de Varsovie de conjuguer leur efforts pour faire apparaître sur leurs façade réunies le chiffre “ 2000 ” pendant trois minutes, dans la volonté que le siècle à venir commence dans la cohésion sociale.
Enfin, Althamer est un poète, un contemplatif, qui se plaît à faire jouer au spectateur un jeu de cache-cache avec les petits évènements de la réalité. En 2000 toujours, il crée une sorte de petite saynète jouée par dix personnages dans la rue, simulant des actions qui pourraient être réelles : un vieux monsieur nourrit des pigeons, un couple s’embrasse sur un banc, un adolescent passe en patins à roulettes…et cette scène se répète plusieurs fois par jour, de façon à faire croire à un “ déjà-vu ” facétieux à quiconque se retrouverait là par hasard. Il réalise également une affiche à l’occasion d’un festival de poésie sur laquelle les habitants du village sont représentés comme les acteurs d’un film à promouvoir.
L’enfance, thématique présente de façon plus récente (correspondant peut être aussi avec la paternité nouvelle de l’artiste), au travers des figures de l’astronaute et de la marionnette (référence ironique à Duchamp dans la pièce “ Self portrait in a suitcase ” exposée dans une vitrine de magasin de jouets) , s’intègre assez bien à ce versant poétique, s’opposant violemment aux pièces plus politiques d’Althamer. En effet lorsqu’il remplace les gardiens du musée par des enfants et effectue un retour au figuratif par le truchement d’une petite statue de sa fille installée de façon onirique dans une cabane au sommet des Alpes, c’est à une nostalgie de pureté et d’innocence qu’il fait appel. Pureté de l’enfance qu’il combine ironiquement avec les codes artistiques lorsqu’il construit des structures de jeux enfantins et les peint en blanc, retour inexorable au “ white cube ” et constat de l’impuissance de l’artiste à interagir de façon effective et durable avec le réel.
La plus belle métaphore de cette impuissance de l’art, qu’Althamer tente d’oublier mais qui peuple de façon désespérée toute sa pratique, est alors sans doute l’installation qu’il réalise à Berlin en 2003. Il transforme une galerie prestigieuse en espace désaffecté, vide, lugubre, comme dévasté par on ne sait quel cataclysme social ou naturel. Confrontant le spectateur à un sentiment de dégradation brute, à une ambiance de fin du monde, ces pièces vides peuvent alors être considérées comme des vanités grandeur nature, une sorte d’avertissement tacite à un art qui ne s’occuperait jamais que de lui-même.

De la Microsculpture / Septembre 2004

Essai de définition, la Microsculpture?

Je voudrais essayer aujourd'hui de parler d'une partie de la sculpture contemporaine telle qu'elle se pratique aujourd'hui, et que je nommerai pour plus de facilité "microsculpture". Ce terme lui-même se trouve actuellement vivement contesté par nombre même de ses créateurs, mais je n'en trouve pas de meilleur pour l'instant et le conserverai donc pour les besoins de ma démonstration. Je m'expliquerai plus bas du choix d'un tel nom.(Petite parenthèse introductive) (Bien sûr il est devenu difficile de parler de courants depuis la chute du modernisme, et avec lui du dernier mouvement quelque peu identifiable en tant qu'"avant-garde" (sauf peut être l'art conceptuel?)... de nos jours l'art contemporain est tellement vaste, tellement diversifié, son champ rassemble tant de pratiques différentes cohabitant tranquillement les unes avec les autres, qu'il n'y aurait personne d'assez chauvin ou fou dans le monde de l'art pour prétendre à la suprématie de tel ou tel type d'oeuvre d'art. Le courant universel prônant la tolérance ayant soufflé sur le monde des années 90 et ce début de millénaire, le prosélytisme n'est véritablement pas vu d'un bon oeil, encore moins en ce qui concerne le domaine des arts et de la culture. Tous les modus operandi, les sujets, les descendances et les pratiques sont forcées de cohabiter les unes avec les autres, dans un souci de bien-pensance et de tolérance tout à fait démagogique. Le chahut de l'art contemporain est devenu un thème rabaché et vidé de toute polémlique, aussi bien du coté des professionnels de l'art que du public (interessé ou non). Des mots tels que qualité, bon ou mauvais art, perspective historiciste, etc... sont à jamais banni du vocabulaire du critique, destiné désormais à n'être qu'un humble paraphraseur de la parole sacrée de l'artiste, investi de la qualité suprême de la bonne foi, et encore. Que d'esbrouffeurs calculateurs et hyprocrites dans le petit monde de la création contemporaine!! Combien de menteurs à eux mêmes, de faux enthousiastes, de récupérateurs de tendances, de révolutionnaires factices!! Combien de pense petits, de spéculateurs, de directeurs marketing hors-pair dirigent les grandes institutions artistiques, qu'elles soient privées ou publiques... françaises ou inernationales. Qu'il est difficile de continuer à faire ou à écrire sur l'art avec un coeur sincère, sincérité qui impliquerait théoriquement des prises de position tranchées loin d'écrits de complaisance... qu'il est loin le temps d'un Greenberg, ou même d'un Buchloch (!) aussi peu pertinentes que certaines de leurs thèses fussent apparues par la suite 1.

Caractéristiques de la microsculpture

La microsculpture utilise des objets et des matériaux du quotidien, qu'elle ne modifie que très peu, à l'aide d'interventions "quasi chirurgicales" 2, ce en quoi elle se distingue du simple ready made. Si elle utilise des matériaux bruts, non raffinés, elle les utilise de manière à faire ressortir leur usage utilitaire, non affilié aux fins nobles de l'art (cf la table en marbre de Guillaume Alimoussa).
Une microsculpture peut fonctionner seule ou en groupe, être inerte, ou posséder un mécanisme (la poubelle de S Hoon).
La microsculpture n'est pas, à proprement parler, de l'installation. En effet, la microsculpture peut-être (la plupart du temps) déplacée et montrée indifféremment dans plusieurs endroits différents (atelier, lieu d'exposition, collection privée...) (ce en quoi elle se rattache à une certaine tradition de la sculpture classique) sans pour autant se détacher complètement de son lieu et de ses conditions de production. Si elle est réalisée sur site, elle reste dans la plupart des cas une sculpture sur site (ex: les nains de jean marie krauth)
La microsculpture traite de thèmes universels, parce qu'utilisant des matériaux connus de tous. Si elle utilise des symboles culturels, ce sont la plupart du temps des symboles culturels de masse, très peu codifiés ou du moins accessibles au plus grand nombre (le drapeau chez Bechtel, Carravaggio chez Guillaume Alimoussa).
Plusieurs microsculptures peuvent fonctionner autour d'une thématique de fond, ou de forme, voire les deux (cf expo Abschweifend)
Attention!! La microsculpture peut-être gigantesque (cf Colonnes de beurre, tractopelle de Alimoussa, machine à merde de W.Delvoye). Ce n'est pas par la taille qu'elle est "micro", c'est par son infime différence d'avec le réel, par sa sublime capacité à se fondre dans le réel, à lui coller à la peau, comme un jumeau agaçant qui ressemble trop à l'autre.
Enfin, la microsculpture est protéiforme: elle peut à l'occasion emprunter les moyens de la vidéo, ou de la photo pour suggérer des anologies de formes plus directes, narratives ou poétiques (photo de Robespierre, du fleuve et des canaux chez Laurent Bechtel, Tournesols en vidéo chez Guillaume Alimoussa).

Mécanismes formels et intellectuels de la microsculpture

S'il ne faut pas confondre thèmes de l'oeuvre et moyens de réalisation, cette frontière reste néanmoins très ténue, à la façon des vases communicants: la microsculpture attire notre attention sur la propension des objets quotidiens à créer du sens et des univers propres à eux mêmes. Le fond contamine la forme et vice versa (question du citron: notre connaissance de l'odeur du citron vient-elle désormais du citron ou du liquide vaisselle parfum citron?)
Le principe de fonctionnement de la microsculpture est donc de se servir des caractéristiques premières du/des objets/matériaux utilisés et de s'appuyer sur un réseaux de connotations fonctionnelles/lexicales d'associations d'idées, pour faire basculer le sens dans (souvent) plusieurs directions possibles.
La microsculpture utilise le potentiel discursif fort des objets pour déclencher une conversation naturelle (puisque les objets utilisées sont connus de tous) et dynamique (le spectateur à beaucoup de possiblités de compréhension selon son vécu et ses propres références) avec le regardeur (un peu à la manière du jeu chapeau de paille-paillasson-somnanbule-bullotin-tintamarre-marabout...) )
La microsculpture peut se baser sur certaines littéralités empruntées au langage, étant donné qu'elle se soucie fort de la nomenclature (cf le presse orange de Franck David)
La microsculpture questionne le penchant humain de devoir nommer et ranger chaque chose selon un ordre établi, constaté et répété. La microsculpture entremêle le culturel, l'inné et l'acquis. La microsculpture fait appel à nos sens les plus primaires, et questionne toujours l'idée de la forme. Elle veut nous amener à reconnaître comme tels des rapprochement qui semblaient impossibles au premier abord où à décortiquer des mécanismes de cache-cache de l'objet (liées aux techniques marketing employées lors de la conception-réalisation-promotion de cet objet).

Enjeux (sociaux, artistiques et autres) de la microsculpture

De par là, la microsculpture interroge la place des objets dans le monde et de par là, notre place. La microsculpture se voit actuellement pratiquée par une génération d'artistes très dispersée dans le monde, et ce grâce à la proliféraiton de ses moyens de base (ses matériaux) qui ne sont en fait rien d'autre que les objets occidentaux répandus dans le monde (asie y compris) 3
La microsculpture nous redonne un chance de tous se comprendre, et fait renaître le mythe de la tour de babel, en abolissant les frontières de langue, de culture et de localisation géographiques. Elle fait renaître la tradition mimétique dans toute sa force, puisque la microsculpture n'est qu'un dimension parallèlle, une caricature de la réalité, un "commentaire de la culture" 4.
La microsculpture répète le monde, mais elle le répète mal, comme un enfant qui bégaye tout en sachant reconnaître le mot dans sa forme première. La microsculpture est le grain de sable de l'évidente classification du monde. La microsculpture distors le réel pour nous mettre en position d'acteur et non plus de spectateur. Elle nous incite à ainsi anihiler les stratégies paralysantes des objets. La microsculpture nous rend plus alertes à notre environnement, plus vigilants, et nous apprend à ne pas prendre le monde pour ce quoi il nous est donné.
Mais la microsculpture nous fait aussi rire, parce qu'elle rend même les objets les plus négatifs désarmants, meme ceux de destruction (la pelleteuse qui s'auto-enterre de Guillaume Alimoussa) même ceux qui ont cessé de vivre (le squelette de poulet emballé de Sung hoon Choi) En fin de compte, la microsculpture nous rend infiniment vivants. Je crois que c'est déjà beaucoup pour l'art contemporain.Une petite conclusion théoriqueLa microsculpture s'appuie donc sur l'héritage incontestable du ready made, mais un ready made intelligent, qui serait vidé de sa fonction tautologique et moqueuse, au profit d'une utilisation pertinente et ordonnée des caractéristiques intrinsèques de l'objet.
En cela, la microsculpture est très rattachée à la tradition moderniste d'interrogation et d'inverstigation du médium, sauf qu'ici il change tout le temps (puisque le champ des objets manifacturés est infini) et ne peut être classé qu'en une catégorie (les objets usuels)
La microsculpture possède donc un champ d'action très vaste et un potentiel intellectuel d'interrogation infini dans le sens où son champ de pratique n'est pas restreint, comme le fût le modernisme, à la seule peinture et sculpture (quoique, même la sculpture posait problème au modernisme en raison du trop grand nombre utilisable de matériaux pour réaliser ces dernières, qui se virent de plus basculer au bout de très peu de temps dans d'autres catégories comme l'installation ou le Land art début 60's)
La microsculpture possède de plus un potentiel mercantile très intéressant, du fait de sa très proche parenté avec l'objet même dont elle dérive. Application non négligeable et absolument non contradictoire avec le statut même de l'objet dont elle se revendique comme la proche cousine (cf Pull sculpture de Erwin Wurm)
On peut aller jusqu'à dire que la microsculpture pourrait devenir une sorte de collector du réel (cf la meduse en gras dans le carton de pizza de GAM)
(on peut rêver)
Justement, le rêve est sans doute la clé de tout cela.

Notes
1. "La théorie moderniste s'est toujours trouvée incapable de proposer une histoire satisfaisante de la sculpture"
"A View on modernism" Artforum 1972, Rosalind Krauss
2 cf Katia Pfeiffer pour l'exposition de Guillaume Alimoussa, "Abschweifend", juin 2004, Robert Keller Galerie, Berlin
3 cf Lucy lippard découvrant le travail de Ian Baxter a 10000 lieues de NY et des fondateurs de l'art conceptuel, in Troubles 3, Christophe Domino).
4 (Mike kelley the Uncanny)

Digression / Juin 2004

Texte rédigé à l'occasion de l'exposition "Abschweifend" de Guillaume Alimoussa à la Galerie Robert Keller, Berlin, Juin 2004

Depuis l'enfance il nous est enseigné de faire confiance à nos sens pour connaître, ou plutôt reconnaître, la vérité. Ici l'on croirait ses sens que l'on serait bien surpris. Le jardin aux mille senteurs n'est qu'une petite pièce aux tupperwares remplis de liquides ménagers de couleurs variées. La tâche de graisse laissée par une pizza au fond d'un vieux carton se métamorphose en méduse, toute droit sortie d'un tableau du Caravage. D'une toile au premier abord représentant un motif camouflage abstrait, surgit un Gremlins grimaçant. AU contraire, d'autres pièces qui arboraient un motif reconnaissable et rassurant se laissent peu a peu flotter vers une inquiétante abstraction, tels cette toile ou des lions roses pales semblent se fondre en un seul fauve et s'enfoncer moelleusement dans les profondeurs de la toile.
Guillaume Alimoussa met astucieusement en abyme notre relation au monde a travers l'objet quotidien, devenu l'emblème schizophrénique d'une société ou l'objet, métamorphose en concept, et sa représentation se confondent jusqu'a ne faire plus qu'un (l'expérience première du parfum citron vient elle désormais du citron ou du liquide vaisselle?)
Entre consommateur grisé et critique blasé, l'artiste hésite, zigzague, sème le doute: et a suivre ses digressions, on ne sait plus trop qui croire. Et c'est tant mieux.

Du dessin / Printemps 2004

Printemps 2004

La représentation fait elle écran? Je me pose cette question plus particulièrement à propos du dessin, en fait. Ces derniers temps est venue la question de la représentation en dessin. La question tournait autour de propos techniques, que peuvent bien être les caractéristiques qui sont de l'ordre de la technique dans le dessin, et aussi les questions ontologiques même à savoir qu'est ce exactement un dessin? C'est à dire par exemple à partir d'où un dessin devient une peinture, un objet voire un dispositif, et aussi dans quelle mesure il dépasse le statut de la simple illustration (et là encore la question est ardue).
Donc en fait que serait un dessin:
-matériau: papier ou autre chose? quel medium?
-figuratif ou abstrait.?
-traits ou formes?
-de représentation ou d'imagination?
Il semblerait en ce moment que derrière une certaine liberté de ton et de forme le dessin se méfie du rôle auquel on l'a longtemps assigné, celui de document du réel. Bien avant la photographie, le dessin a une vélléité d'objectivité (la question principale des enfants par rapport au dessin "on reconnait vachement bien" ) . La fonction documentaire du dessin, notamment comme vecteur de savoir (cf dessins scientifiques de la faune et flore dès le XVIe siècle). Le dessin avait une validité vérifiante incontestée, grâce à une espèce de charte tacite entre le dessin et le spectateur de ressemblance. Le dessin tendait toujours vers l'essence de la représentation, et vivait dans l'utopie du dessin parfait, celui qui rendrait compte en totalité du monde, utopie qui traversa tout l'histoire de l'art de l'Egypte ancienne à Rodin. Utopie bien sûr tout platonicienne, remanescence de rites païens dont les mondes monothéistes ne purent jamais se défaire, malgré quelques tentatives d'interdictions religieuses (interdictions de représentation de dieu chez les juifs, icones dans le monde de la chretienneté, pas de figures humaines dans l'islam...)
Dans le dessin contemporain cette charte s'est finalement peut être adaptée, dans la mesure ou dorénavent et parallèlement au développement de la photographie le dessin perd son caractère uniquement documentaire pour se concentrer vers une interprétation plus sensible de la graphie, et rechercher un style, une écriture. Cet élargissement du dessin même au champ du langage par l'écriture va être au coeur même d'investigations d'artistes tels les dadaïstes, les surréalistes puis les conceptuels, en passant par les situationnistes et bien d'autres.
Désormais dans le dessin ce qui prime c'est la vision d'un auteur, comme une interprétation libérée et vérifiante du réel, mais pas dans un sens documentaire. On cherche un regard, quelque chose qui s'échapperait du simple champ de la représentation pour signifier quelque chose d'intrinsèquement caché mais pourtant essentiel. Car l'essentiel maintenant n'est plus rattaché à la représentation. On le suppose plus beau, plus grand, moins banal, on cherche la vison qui viendra conforter que l'on ne peut pas voir la vérité sans la fonction révélatrice de l'art. Que l'art révèle, que l'art sublime.
Du coup, et devant la prolifération d'images photographiques mimant le réel, on se méfie de la représentation effective et "réaliste" du dessin. On veut qu'il dise plus que la simple tautologie visuelle. On l'a dénudé de son pouvoir détaillant, avalisant. On exige de lui de la synthèse, de l'esprit, de l'autonomie alors que le dessin est par essence partie. Partie du monde, partie du réel, partie dans un grand tout que forme son rappel au monde visuel quel qu'il soit (abstrait ou figuratif).

Souviens toi que de poussiere, tu retourneras a la poussiere / Avril 2004

Un essai de rencontre avec le travail d'Adrien Lamm, Avril 2004

Il faudrait sans doute se souvenir de l'histoire de Pollock si l'on veut découvrir celle d'Adrien Lamm. Une pratique qui est une souffrance et en même temps la seule solution évidente au mal-être qui tenaille son auteur. Une espèce de cercle vicieux qui ne s'interrompt jamais, entrecoupée de doutes, de pauses, de cessations plus ou moins longues, d'envie pressante de tout abandonner pour se rejeter dans le travail jamais accompli, telle une Pénélope obsédée faisant et refaisant sans cesse.
Le travail de Lamm n'est pas un travail linéaire. Il avance à petits pas, recule, pose un jalon, se tait, repart précipitamment, s'interrompt à mi-course, revient sur ses pas pour chercher quelque chose, un élément apparemment anodin qui devient crucial un instant puis finit abandonné dans le coin d'une pièce, seul. Les éléments matériels se rencontrent, dialoguent, font constat de l'échec d'une communication possible, puis font le deuil et se taisent, créant finalement l'unité dans leur incapacité relationnelle, dans une tautologie simple et poétique de l'existence.
Le travail d'Adrien Lamm passe par la construction pour démontrer l'être. Toutes ses démonstrations tendent à justifier simplement le premier présupposé de Descartes: l'indémontrable évidence de l'existence et de la pensée. Quand on est sûr de rien, on peut au moins être sur de cela: nous existons, et chez Lamm toutes les questions, même les plus monstrueuses, s'évanouissent et se résolvent dans cette indicible légèreté du matériau à ne représenter que lui-même.
Ensuite il est possible de s'interroger plus formellement sur certains aspects particuliers de cette pratique au travers de différents prismes.
Les matériaux eux-mêmes qu'utilisent Lamm tout d'abord. Colorés, joyeux souvent, le plastique, le bois peint, les matériaux mêmes du dessin (crayons de couleur, peinture, pâte à modeler), le sable, la ficelle, le sucre, tout un lexique rassurant de formes enfantines se décline et s'entrecroise. Ces différents matériaux se mettent en tension, parfois littéralement à l'aide de systèmes de poulies et de balances délibérément instables. Il y a une recherche de point de rencontre entre l'équilibre et le chaos qui sous tend toutes ces constructions aléatoires. La recherche elle-même de la justesse de la position d'un élément participe à l'aspect final (si tant est que l'on puisse parler d'un résultat final dans les sculptures de Lamm) même si elle n'est plus visible physiquement à cet instant précis (le thème de la trace, de la mémoire sont un autre des aspects importants de l'oeuvre de Lamm sur lequel je reviendrai ultérieurement). De l'extérieur ses sculptures ressemblent donc au final à un assemblage d'éléments disparates qui sembleraient sortis de la nurserie d'un enfant précoce et curieux. De petites figurines figuratives (animaux) côtoient des morceaux de sucre colorés, de tasseaux de bois de dimensions variables, des seaux aux couleurs vives, des chaises mélancoliques à la peinture un peu écaillée. La place des éléments dans l'espace, qu'ils soient suspendus, empiles, caches, alignes, fait constamment osciller le spectateur entre le sentiment d'un choix très mûrement pèse et la question tacite de la part aléatoire qui a préside a leur disposition. C'est ainsi que, implicitement, le travail d'Adrien Lamm pose l'étrange question du destin et de la fatalité. Dans quelle mesure les choses sont elles ce qu'elles sont, et l'univers se trouve il ordonne de la façon dont nous en faisons quotidiennement l'expérience? Lamm règne en maître et en dieu sur le petit univers de sa pratique, et rejoue au travers de ses pièces les phénomènes premiers de la création du monde.
Bien sur l'utilisation des éléments de cette univers enfantin n'est pas anodine. Comme il se plaît a le dire lui même, Lamm est un bon élève boulimique d'apprentissage. Le monde de l'enfance devient alors une métaphore d'un temps ou apprendre était un plaisir et non une contrainte, et ou les découvertes réalisées ne sont pas soumises a une logique exploitable de marche. L'enfance devient alors le temps idéalisé ou la finalité des actions et des recherches n'est pas le but de l'action lui même. L'enfant, dans sa forme considérée dans la société comme une seule forme de transition (le but de l'enfance étant de devenir adulte), libère l'univers de Lamm de toute contrainte utilitaire. C'est la gratuite même des actions enfantines qui engendre leur si profonde gravite et, de la, leur si profond sens métaphysique.
On a aussi pu penser a un moment que le travail de Lamm était sous tendu par une logique d'échec, dans le sens ou ses pièces, du point de vue formel, étaient souvent vouées a une profonde transformation, destruction partielle ou totale, et même dans certains cas, a la disparition. Je pense notamment a tous les travaux effectues en sucre, le mur dégradé de Altkirch, effondré puis refait, acquièrant son cote sublime par le fait même de la volonté sous tendant sa reconstruction; au cimetière de sucre, fragile entité de pierres tombales risquant a tout moment d'être emportées par leur propre raison d'être, a savoir les larmes théoriquement versées sur les morts qu'elles se doivent de, courageusement et dérisoirement, représenter; aux pathétiques (dans le sens de pathos) photos de tours de sable, incomplètes, bâtardes, effondrées et fixées a jamais dans leur position inconfortable de bastions voues a une défaite inéluctable (mais qu'étaient elle censées défendre?). Tout ces symboles de puissance (tours, murailles) et de souvenir (stèles mortuaires), a l'origine crées par l'homme pour lui survivre et le commémorer, sont utilises et détournés par Lamm pour devenir au contraire témoins d'une incontournable décadence: "Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras à la poussière"…
Cela nous amène donc a un dernier, et non des moindres, aspect du travail de Lamm. Truffe de références bibliques et talmudiques (Lamm est d'origine juive), le travail apparaît alors comme un exutoire et une remise en question profonde des principes judéo-chrétiens qui sous tendent tous les fondements de la société occidentale, et de par la l'ordre mondial établi. L'analyse menée aboutit bien souvent au rejet de valeurs traditionnelles, qu'elles soient politiques, patriarcales, religieuses, philosophiques, ou du moins a leur remise en question profonde et violente. Car le travail de Lamm ne donne aucune réponse. Il s'achève sur un silence triste et est l'expression même d'une absence, d'une solitude, d'une insatisfaction sincère devant le monde et les hommes. Pour symbole cette vidéo (que je n'ai d'ailleurs jamais pu visionner) caractéristique, ou Lamm filme ses parents et ose au travers de ce médium poser des questions et entamer un procès jusqu'alors sans cesse ajourne, celui de son enfance. Souffrant pendant plusieurs années de l'existence même de cette bande symbole même du mutisme auquel ses question se heurtaient, il finit après plusieurs tentatives infructueuses par décider de ne pas la monter, et même de ne pas la montrer du tout.
Cette prise de conscience désabusée de l'importance vitale du processus et de l'échec en revanche inéluctable de ses conclusions, est un ressort primordial de la pratique de Lamm. On ne peut pas échapper à sa condition juive: le juif se doit d'être un "bon juif" toute sa vie malgré les rigueurs imposées du mode de vie judaïque par un Dieu ingrat, qu'on ne doit ni nommer ni supplier. Métaphoriquement, dans le travail de Lamm, cette condition devient un symbole de la condition humaine toute entière. La judeïté se transfigure, et tout le réseau de signes religieux mis en place (le cimetière, les petits cailloux, le lion, la tour, la croix, le pain...) se vident peu à peu de leur sens communautaire et reviennent se fondre au creuset des mythes humains universels.
Je ne sais plus alors comment conclure cet article. Une image cependant me revient en mémoire: une des premières sculptures d'Adrien Lamm se trouvait au centre d'un couloir à l'école. D'aspect assez brut, elle se composait d'une montagne de mie de pain peinte en rouge, piquée d'une multitude de petits drapeaux. Des blagues fusaient sur l'aspect ingrat de cette pièce. Quelqu'un me dit: "c'est une sculpture représentant les nations unies". Sur le moment, cette sculpture, je ne la compris pas. C'est maintenant, plus de trois ans plus tard, que les qualités mystérieuses de cette sculpture me reviennent, plus prégnantes que jamais. Le pain teinté de rouge vif, les drapeaux colorés piqués à même la masse informe, répandue de façon informelle dans le hall général: exposée cruellement à la vue de tous, livrée. La moisissure silencieuse du matériau lui même, après quelques jours. Et l'insolente gaieté des drapeaux, toujours gais, toujours pénétrants, toujours fiers, comme se repaissant de la matière putrescente. Le rapprochement politique qui m'avait alors paru incongru, pourrait alors trouver son sens. Et je pensais au garçon qui, seul au milieu du couloir dès le matin, avait façonné avec un amour et un savoir faire égaux les petits fanions de papier et la montagne (sic!) de pain rougie, et dieu seul sait à quel création étrange il se livrait alors, la création autonome d'une pièce ingrate livrée aux quolibets d'une assemblée avide de compétition et de lapidation verbale. Le monde de l'art. Le monde des hommes. Au lieu d'en rire, j'aurais peut être dû en pleurer.

Leaders of the packs: une nouvelle avant-garde Française? / Janvier 2004

Texte rédigé en Janvier 2004, dans la gare de Stuttgart!

Depuis que je me suis expatriée, en juin 2003, je réalise combien le petit orgueil artistico-institutionnel français est décalé par rapport à ce qui se passe vraiment dans le monde de l'art contemporain. Et surtout à quel point une petite perfusion de simplicité, peut-être un peu "old school", serait également salutaire à toute une frange du marché contemporain qui s'asphyxie à coup de nouveaux médias, d'installations vidéos hypra-complexes, d'"esthétique relationnelle" et d'artistes en provenance des ex-pays communistes dont la nationalité à elle seule devrait attester d'un soi-disant exotisme, d'une vision du monde neuve et fraîche par rapport aux rapports ouest-européens à l'histoire de l'art, si figée dans la suprématie post-moderniste à mouvance pro-US.
Nos artistes Français, en revanche, ont pris leurs distances. Complètement à côté de la plaque, à baguenauder cinq ans dans des écoles d'art où la théorie et les questions ontologiques sur l'essence de l'art priment ("as-tu trouvé ton espace mental?") — et quand ils ont eu leur diplôme — ces jeunes fraîchement émoulus se pressent tout naturellement aux portes du RMI, premier mécène français. Celui-ci, avec l'aide d'autres partenaires généreux (parents, petits boulots, ASSEDIC, conjoints) continue sa lente évolution, prend le temps de regarder le monde et son époque, loin des contraintes politico-économiques (il n'a pas de commandes publiques, encore moins de galerie!).
Ce doux rêveur utilise alors son temps à ne rien faire, ce qu'il fait à merveille.
Lorsqu'il s'ennuie trop, il recopie le dictionnaire (Gilles Barbier), fabrique de nouveaux instruments de musique avec des prospectus (Franck David), remplit des bassines de gel fraîcheur citron (Guillaume Alimoussa), ou encore fait fabriquer des cubes désinfectant pour WC gigantesques (Guillaume Paris). Ces nouveaux compulsifs obsessionnels de l'oisiveté sont à l'origine d'une nouvelle mouvance très représentative - et innovante - sorte de nouvelle avant-garde française. Ces leaders de l'esthétique du pauvre, du populaire, du cheap pas kitsch, de l'esthétique de supermarché (Paris en tête) distillent à coup de micro-sculptures anodines une poésie acérée bien plus polémique (et politique!) qu'ils ne le laissent penser.
Les intentions pas toujours claires de ces brebis (noires certes) de l'art contemporain transparaissent cependant à coup de pièces aux titres évocateurs ou à l'esthétique empruntée aux grands courants de l'histoire de l'art, que ce soit le minimalisme (les très purs et néanmoins overtrash "week-end" de Franck David) ou même la renaissance italienne (les grand tableaux de maîtres reproduits en gras sur des cartons de pizza, grandeur et décadence de l'image italienne à l'étranger de Guillaume Alimoussa).
Pourtant, on ne peut reprocher à ces artistes grosso modo trentenaires de ne manquer de sincérité. Du fait de ce contexte français très particulier décrit plus haut, ils ont plutôt sans doute eu la chance de se poser au bord de la grande autoroute du monde, un peu en touriste, et de s'imprégner de ses bons et mauvais côtés. Qui ressortent naturellement au sein de leur pratique quotidienne puisque non dictée particulièrement par des contraintes commanditaires, telles les pâquerettes dans le parc municipal envahi par les déjections canines.
Une certaine élégance, un certain érotisme français même pourrait être ressenti et évoqué si on voulait réellement faire la promotion — mais en ont-ils vraiment besoin? — de ces jeunes esthètes français. Tels la pièce vide de Guillaume Alimoussa, éclairée aux néons de boucherie, faisant juste ressortir les teintes d'incarnat de ses visiteurs comme ils mettraient en valeur les délicates nuances rosées d'une côtelette de porc. Ou cette grosse poche de plastique rose, enflée, luisante, tentant d'envahir mollement tout l'espace d'exposition et clamant de façon pathétique "je ne suis pas un numéro!" de Franck David. Allusion discrète à une sensualité qui passerait à travers les griffes de sa propre représentation par l'image pour ne représenter qu'elle même, à l'état brut, avec des matériaux dont on avait oublié l'intrinsèque valeur érotique.
Car c'est un triomphe des matériaux qu'il s'agit. Ces jeunes artistes, épicuriens de la génération Mac Do, s'émerveillent de toutes ces matières superflues et néanmoins inhérentes à la vie moderne, nous les montrant toujours sous des jours nouveaux, inédits et quelquefois choquant. Cela faisait plusieurs années qu'on discutait de l'essence de l'art contemporain. Quel est-il? Quels en sont les enjeux? les médiums?
A la lumière du travail de ces jeunes français, une partie du mystère se révèle: comme dans un immense terrain de jeux, le monde et tous ses objets, quels qu'ils soient, deviennent les nouveaux matériaux, à mi-chemin entre ready-made et sculpture, d'un nouveau langage, d'un nouveau Babel, où les mots sont à la portée de tous, traversant les langues, les frontières, les différence de richesse et d'idéologie, et deviennent les briques d'une nouvelle compréhension artistique universelle réconciliant artistes et public, plébéienne à l'extrême puisque dont les médiums, leurs possibilités et leurs contraintes, sont connus de tous. Ne serait-il pas plus facile de parler peinture, si tout le monde avait un chevalet chez soi?
Lorsque légèreté et conscience du monde, poésie et matérialité brute se conjuguent, on peut alors excuser l'art français d'avoir mis tant de temps à pondre cette nouvelle génération de fainéants, en ne leur souhaitant qu'une chose, c'est d'aller bientôt étrenner leur costume Versace flambant neuf chez Sotheby's, un mécène quand même autrement plus généreux que la caisse d'allocation familiale.