10 novembre 2008

Post-Fiac's post

Au moment de me décider à mettre des mots sur cette semaine passée à Paris pour la FIAC et autres activités, je m'aperçois qu'aucune oeuvre ne se détache aussi particulièrement de ma mémoire que les toiles de Jonathan Lasker présentes sur différents stands (au moins deux). Impossible cependant de les décrire plus particulièrement: ce n'était rien d'autre que des Lasker, avec leur lot habituel de couleurs flashies, primaires, d'empâtements et de "bien peint", leur format fier et leurs motifs mi crabouillés mi psychédéliques se détachant crânement sur les murs blancs et le fouillis de la foire.
M'interroger sur le grand vide qui entoure cette perception persistance, obsessionnelle des Lasker à la FIAC, ne se veut pas un jugement métaphorique déguisé sur une hypothétique mauvaise qualité de celle-ci. Car dans l'ensemble, il me semble, et comme pour la plupart des visiteurs avec qui j'ai eu l'occasion de m'entretenir, professionnels comme amateurs, que la foire faisait plaisir à regarder, il y avait des expositions de pièces énormes d'artistes majeurs dans tous les coins, l'éphémère plus beau musée du monde, ici chez nous au cœur de Paris. Un melting pot de goûts, de sensibilités, de centres d'intérêts, de façons de voir l'art. Une véritable affirmation de l'existence à part entière d'une catégorie de monstration qui serait le "stand de foire". Je pense que quoi qu'en disent beaucoup de personnes les foires sont devenues des expositions avec un mode d'emploi un peu particulier, aussi bien pour les artistes que pour les galeristes, les organisateurs, les spectateurs, les professionnels. C'est aussi une sorte de moment grisant où la présence des oeuvres vous euphorise, rend tout possible. Je pense que cette excitation vient véritablement de la présence des oeuvres: ce serait hypocrite de penser que le cadre somptueux du Grand Palais n'y est pas pour quelque chose, mais par exemple on peut aussi ressentir cela à Frieze qui n'est abritée que par un basique chapiteau. Les artistes le savent: ils sont accolés par la force des choses à une démonstration de pouvoir dans les foires. Prise de pouvoir qu'ils savent s'effectuer dans de très mauvaises conditions: mais c'est le jeu. Même pour les artistes qui n'ont qu'une toute petite pièce c'est un acte de résistance, les cadres se crispent à sur les cimaises, ils semblent tous espérer dans un mélange de nonchalance et d'extrême tension l'attention d'abord éphémère puis potentiellement confirmée d'un acheteur ou d'un décideur quelconque.
Bon je risque de disserter longtemps sur le format foire qui nécessite certainement beaucoup de développements, donc je m'arrête et je repense à ma semaine à Paris.
J'ai raté: l'exposition du Prix Ricard, Colomer au Jeu de Paume, Mantegna au Louvre, Melik Ohanian au Plateau, le Futurisme à Pompidou, Antidote aux Galeries Lafayette...
L'exposition qui m'a quand même ravie, ce fut (attention au nom, tenez vous bien) Academia qui es tu? une présentation d'oeuvres de la collection d'Axel Vervoort (il paraitrait que les oeuvres sont à vendre! en tout cas je n'ai pas vu de liste de prix :))
L'exposition est une sorte de collage assez punk d'oeuvres très contemporaines (Orlan, Annette Messager, Hirushi Sugimoto, Tony Oursler, Hans-Peter Feldmann, Luc Tuymans, Anish Kapoor, Berlinde De Bruyckere...) avec des oeuvres modernes (Fontana, Picasso, Miro, Vasarely, Manzoni...) et tout un tas d'oeuvres beaucoup plus anciennes, certaines proches des Arts and Crafts (de la poterie, des pierres de taille néolithiques), d'autres de l'illustration (Daumier) ou de la calligraphie. L'ensemble est présenté sur des grilles recouvrant carrément les bas-reliefs de la Chapelle des Beaux-Arts (effet collage vraiment réussi), joue avec l'espace et les statues monumentales s'y trouvant (gisants notamment). C'est dans la bibliothèque au fond que sont présentées les pièces les plus précieuses, dissimulées au milieu des livres comme de petits trésors, ambiance cabinet de curiosités, d'ailleurs le livret de l'exposition joue de cela, il faut s'amuser à reconnaître les pièces d'une étagère, d'une page à l'autre. Il y a tant de pièces qu'on peut rester facilement deux heures à tout regarder par le menu, ce qui pour un espace somme toute pas immense donne une idée de la densité de l'accrochage (voulue, et qui lui réussit). Bien sûr tout est réuni par la subjectivité du collectionneur qui a lui même certainement hérité d'un certain nombre de pièces familiales et s'est certainement entouré de conseillers artistiques qui repèrent pour lui les meilleures pièces de chaque époque. C'est alors dans ses choix de pièces contemporaines que le personnalité de l'homme se fait sentir. Un choix qui semblerait indiquer que le collectionneur est avant tout attiré par le sensible, la matière, le vernaculaire, l'uncanny, en gros, beaucoup de thématiques liées à la civilisation, à la perception des grands cycles comme la mort, la transformation de la matière, sa perennité ou sa disparition (je pense notamment à des artistes comme Orlan, Jean-Luc Moulène, Robert Filliou, Gabriel Orozco, Berlinde De Bruyckere, Anish Kapoor, Bill Viola, Tony Oursler...) ce qui se retrouve bien sûr dans l'intérêt pour des artistes plus anciens comme Manzoni ou Bellmer.
En tout cas, je suis sortie toute heureuse de toutes ces choses intriguantes, belles ou morbides que j'avais vues dans cette exposition et je trépignais de cette muséographie inventive (quoique bien sûr empruntant à des formats déjà utilisés et en soi, ne comportant rien de nouveau), me demandant alors pourquoi nous autres commissaires d'exposition contemporain rechignons si souvent à ce genre d'accrochages sous couvert de respect de l'oeuvre et de son espace de monstration (ce qui conduit souvent à des expositions vides ou des oeuvres tentent désesperement de couvrir des espaces gigantesques ou l'on est sensés "respirer").
Certainement le fait de négocier les conditions de monstration avec des artistes vivants est une première bonne raison (c'est bien connu, les artistes morts sont moins regardants avec les conditions d'exposition, quand ils n'ont pas d'héritiers tatillons). Mais ce n'est certainement pas la seule. Nous nous laissons enfermer dans des conservatismes à une vitesse infernale, et cette exposition est une sorte de petit coup de pied au derrière pour qui veut bien l'entendre. Je repensais alors au stands de la FIAC et je les trouvais bien moins conformistes maintenant, les collages surréalistes des oeuvres modernes, contemporaines, les tenues colorées des femmes sur détachant sur les peintures, les vidéos et les sculptures, tout se mélangeait dans un joyeux tourbillon formel qui me faisant ressentir les pièces différement, de façon plus simple, plus sensuelle.
Ce qui rejoint finalement quelques constations du début de ce post. La foire est somme toute un format plaisant et je préfère une bonne foire à une mauvaise exposition. Comme celle de Turin notamment dont je suis en train d'arpenter les stands ces jours ci...mais c'est une autre histoire.