21 septembre 2008

Les années 90 sont bien finies...

...du moins en ai-je eu l'impression à la visite de l'exposition de Douglas Gordon à la collection Lambert hier après-midi. L'exposition est certes très bien scénographiée, élégante, tragique mais tout en restant badine, et pourtant, une impression de lassitude, à la limite de l'ennui, se dégage de l'ensemble. C'est une espèce de mélancolie de l'artiste maudit, de spleen XXe siècle étiré, Beigbeder sans l'humour. Les références faciles aux vanités deviennent la caricature d'une obsession des thématiques "fin de siècle". L'ensemble des phrases disséminées ça et là dans l'exposition donne un effet de sous-titrage réussi parfois, téléphoné parce que trop répétitif, malgré un soin attentif donné à la place des lettrages et aux typos, leurs tailles, leurs couleurs. Les tirages photographiques soignés à la taille imposante ne font pas oublier la banalité des sujets et de la qualité artistique des clichés (inintéressantes photos de bébé entre autres). Les ambiances colorées sont en revanche une belle réussite, donnant une tonalité insaisissable à l'ensemble du parcours au sein de la collection, de façon plus discrète, moins martelée, que le reste du show à qui on peut reprocher une globale littéralité.
Douglas Gordon a été une telle figure pour toute une récente génération d'artistes (de Clément Rodzielski en passant par Lars Laumann jusqu'à Benoît Maire) qu'il est difficile de tout remettre en cause ici je suppose. J'ai eu l'occasion de voir plusieurs œuvres de Gordon deci-delà, dans des expositions collectives, dans des livres, dans quelques lieux plus exigus (Le Deutsche Guggenheim à Berlin par exemple) mais je n'arrivais pas à me faire une idée claire de son travail pour autant. Au delà du cas de Gordon cette exposition démontre encore une fois que certains artistes ont réussi à franchir une étape dans le travail de médiation du travail par lui-même, à atteindre un certain niveau de lisibilité par le grand public. En revanche, passé l'impression satisfaisante de savoir-faire, c'est une sorte d'arrière goût décevant, l'impression qu'on a été le rouet d'un "truc". Et si Douglas Gordon avait compris le "truc"?
Il existe des "trucs" en art contemporain. C'est un peu naïf de l'affirmer, et pourtant, c'est vrai. Il m'a récemment suffi de me promener dans l'accrochage d'art américain du LACMA à Los Angeles, pour m'en convaincre encore une fois. La taille des pièces, le soin apporté aux réalisations, le savant mélange des couleurs, les références mesurées à la culture populaire et à certains éléments communautaires reconnaissables dans une polysémie de sens étudiée permettant des pièces lisibles tout en évitant le raccourci, autant d'indices des pratiques mûres, socialement constructives, rassembleuses (voir à ce sujet l'article de Kim West dans Frog de janvier 2008 qui met cette notion politico-critique sur la sellette à l'occasion de Documenta XII) . Parfois aussi, l'amour de l'art pour l'art, de la pièce pour la pièce, donne l'impression d'un non-sujet. Ce n'est pas parce que l'on fait référence de façon subtile à son époque et à ses préoccupations, que l'on en fait forcément une restitution "pertinente" à savoir artistiquement innovante, même si l'on est capable d'en réagencer les signes, de parler en gros le langage de la culture, de façon efficace. Bien sûr, on n'est jamais totalement en capacité de dire pourquoi Ed Ruscha ou Jeff Koons "marche" , ou ne "marche pas" cette fois-ci (bon ok, ils marchent la plupart du temps :)). Mais il est certain que ces codes d'une œuvre d'art réussie, que l'on s'efforce d'inculquer aux élèves d'école d'art de façon plus ou moins réussie, existent, et qu'on peut les repérer ou...noter que malgré leur présence, l'œuvre ne prend pas.
Dès lors ce qui me frappe dans l'exposition de Douglas Gordon, c'est ce fond consensuel dans lequel baignent toutes les pièces, rassemblant comme dans un bon manuel du parfait artiste du XXIe siècle matériaux industriels (plexiglas), phrases poétiques, found footage judicieux, boucles vidéos devant tout à Nauman et consorts, animaux monumentaux et traitement "uncanny" des images du corps (photos brûlées, éléphants, tatouages...), ambiances colorées, sens de lecture complexe, savante manipulation du principe de série, de multiple; référence à l'autre, l'étranger, dans des allégories d'un politiquement correct agaçant à force de mesure (les charmeurs de serpent); évocation des grandes utopies artistiques historiques, du portrait à la vanité en passant par le paysage; soin tout particulier à la bande son, à la bande annonce et aux techniques cinématographiques dans leur ensemble jusqu'à l'utilisation policée de ready-mades, petite célébration personnelle de son propre bon goût à la limite du kitsch, à savoir les affiches de cinéma de la collection privée de l'artiste.
Que de maniérisme! Merde! C'est un cliché d'érudition snob. Cette métaphysique creuse me désole. C'est un art qui ne sert à rien. Du moins pas en ce moment. Je veux bien concevoir que les années 80 aient été les années du bling bling, de l'argent, de la réussite; que les années 90 par conséquent aient été une énorme gueule de bois et que l'aspirine de l'an 2000 commence à peine à dégager les brouillards menaçants qui continuaient de brouiller nos pensées et nos perspectives d'action sur le monde; mais justement, quand dans les années 2000 il semble se produire un sursaut, une véritable envie de relier l'art au monde, de sortir d'une position de neutralité valable mais un peu méprisante, c'est pour moi le moment de sauter sur autre chose, de se mouiller un peu. Alors le fait que cette exposition fonctionne comme une rétrospective excuse certainement ce côté très "nineties", tendance hyper-déprimée. Peut-être Douglas va t'il mieux, qu'il pense à d'autres œuvres. Qui adressent un peu plus le monde, et un peu moins son dos.
PS: en plus j'adore Douglas!!!!!!!!! j'ai travaillé avec lui en 2006 sur Zidane avec Parreno et il est trop chou. Faut il alors prendre ce post comme une sorte de déception personnelle? à vous d'en juger cher lecteur :)