16 mai 2011

Qui a peur du milieu culturel marseillais?

Ce week end s'est déroulé le deuxième Printemps de l'Art Contemporain à Marseille dans la liesse artistique pour les uns, et l'indifférence générale pour les autres. En effet, on a pu encore une fois constater que l'évènement semble ne s'inscrire ni sur l'agenda des acteurs nationaux et internationaux, ni sur celui des décideurs et entrepreneurs locaux. Si pour la première catégorie, des explications rationnelles se dessinent qui n'interfèrent en rien avec la qualité globale de l'évènement (de l'avis général), pour la deuxième, cela témoigne en revanche d'un mépris de la classe entrepreunariale et politique pour qui les acteurs de l'art restent livrés en pature à des opérations de communication douteuses, récupérées dans le cadre de l'enthousiasme obligatoire envers Marseille 2013 capitale culturelle européenne.
Pour preuve j'en veux la soirée à la chambre de commerce vendredi soir. Cette soirée avait pour but "de mettre en contact acteurs de l'art et monde de l'entreprise". Objectif louable qui faisait suite à une journée de tables rondes autour du sujet du mécénat et de l'art contemporain, avec une brochette d'intervenants plutôt bien choisie (si certains n'ont effectivement rien appris à ces tables rondes, d'autres font quand même état de vraies questions posées, enfin pour qui souhaiterait s'initier à ces questions). Mais arrivés à la chambre de commerce, surprise. Je ne m'étendrais déjà pas sur l'habitude prise de demander aux artistes d'occuper "gratuitement" un espace à des fins évènementielles, contrainte contournée par Marseille expos et Botox, l'association niçoise invitée à grapiller un peu de "visibilité" lors de la soirée par la présentation d'une vidéo et d'une installation mise en place avec des moyens réduits mais efficace dans le grand hall vide de la CCI. Il est bon de rappeler qu'aucunes des structures de Marseille expos n'avait cru bon de s'exciter à proposer quelque chose, les conditions financières de l'occupation de ce hall étant inexistantes (on pourra me rétorquer que la CCI a défrayé les interventions du colloque dans la journée : ils semblent donc considérer que parler dans une table ronde mérite d'être rémunéré, pour intervenir artistiquement non : drôle de logique en soi mais passons).
Donc nous arrivons à la CCIMP. La soirée est reléguée dans le salon du premier étage : ok, le cadre est assez sympathique, bien qu'on se rende compte qu'il ne s'agit en aucun cas de la grand messe de la soirée "artissima" fer de lance de la publicité artistique de la CCIMP qui se déroule elle dans le grand hall avec moult champagne et discours auto promotionnels de multiples personnalités invitées à dérouler leur amour pour la culture en général et l'art contemporain en particulier. Mais je m'éloigne du sujet. Donc dans cette soirée : aucun entrepreneur, aucun chef d'entreprise, aucun élu (ou presque). Démarrée à 21 heures 30, il est servi des petits fours sucrés en direct, une façon de rappeler qu'on est pas là pour bouffer gratos et sans doute une façon polie de mettre un stop aux vélléïtés de pique assiette bien connues des acteurs du monde culturel local. Il est interdit de sortir sur le balcon de la CCIMP pour fumer (comme il se passe dans les cocktails normaux), un videur agressif défend l'accès à cet espace, je manque d'ailleurs de m'emplâtrer avec un qui refuse à une amie qui a un coup de chaud de se tenir devant la porte (cela manque de déraper). Conséquence de quoi, tout le monde se retrouve en grappe au rdc à fumer des cigarettes devant l'entrée, ce qui donne encore une fois une image bien prestigieuse de ce genre de manifestation : un attroupement de plus de personnes assises par terre sur la canebière à boire du vin et à fumer des clopes. On comprend en même temps assez vite que ce cocktail est une concession, un alibi : tout est mis en scène pour pousser les quelques malheureux qui auraient voulu passer une soirée sympathique entre professionnels vers la sortie, et c'est d'ailleurs réussi, à minuit il n'y a plus personne, les mécréants ont dégagé la sortie, de membres de la CCIMP on n'a vu personne en revanche on a bien rencontré le service d'ordre bien à cheval sur les horaires et la "sécurité".
Quand on pense aux évènements et autres soirées d'autres rendez vous culturels qui se souhaitent de stature "internationale" tels la biennale de lyon ou le printemps de septembre, qui sont conçus et soutenus par les élus et les entrepreneurs locaux avec une débauche de moyens exceptionnels et dérisoires par rapport au nombre de cocktails annuels liés à l'animation usuelle des CCI, on voit bien le chemin qui reste à parcourir à la CCIMP pour être à la hauteur de son ambition démesurée de grand mécène des arts sur la région. La soirée de vendredi soir était exemplaire à ce stade: une sauterie "bien assez bonne pour eux" organisée à la va vite, boudée par les organisateurs même, dans une ambiance coercitive où tout est fait pour faire sentir aux invités qu'ils "ne le valent pas bien".
On l'a bien compris : les mécènes d'aujourd'hui et la CCIMP et ses membres n'y font pas exception, souhaitent maintenant organiser leurs propres contenus et évènements. Fini la confiance et l'accompagnement des acteurs : désormais les évènements et contenus doivent être impulsés par eux car le risque est trop grand de voir les financements ne pas atteindre leur vrai but : assurer une com d'enfer aux généreux donateurs, avec moult professions de foi dévotes envers les grand mécènes, logos surdimensionnés, remises de prix en tout genre, et surtout, productions labellisées "x" ou "y". Une bonne logique de marque : pourquoi s'associer à une marque existante alors qu'on peut créer sa propre marque? les mécènes du sud l'ont bien compris notamment, en devenant dorénavant les producteurs en direct et les diffuseurs des artistes qu'ils souhaitent soutenir, au détriment des structures qui portaient les projets précédemment. Ils pensent certainement qu'après tout produire et diffuser de l'art cela ne doit pas être vraiment différent du commerce traditionnel, et en cela ils ont raison, toute une catégories d’œuvres aujourd'hui semblent pouvoir s'insérer directement dans le flux mercantile de cette façon, sans pensée, sans réseau, sans inscription à l'international. Directement du producteur (l'artiste) au bénéficiaire (un public d'entrepreneurs autosatisfaits qui ont enfin un truc à raconter dans la presse sur le vivre ensemble, puisqu'ils restent dans l'ensemble muet sur d'autres sujets sociaux un peu plus polémiques).
En fait, c'était peut être mûrement réfléchi, cette soirée à la CCIMP : nous faire comprendre que nous autres, producteurs culturels, nous sommes ringards, nous n'avons rien compris à la nouvelle donne artistique libérale, alors ils nous ont gratifiés gentiment d'un cocktail troisième âge, pour qu'on comprenne bien qu'on est dépassés, qu'à minuit au lieu de continuer la conversation à bâtons rompus on ferait bien de rentrer se coucher, prêt à travailler demain pour soutenir des artistes qu'ils pourront ensuite repérer et produire en direct, vite fait mal fait, et mettre en vitrine sur tous leurs supports de com (ils ont des chargés de com au moins, eux). Et pour les fêtes réussies, j'irai à Venise. Je leur demanderais bien de venir pour voir mais je pense qu'ils ne savent même pas qu'il y a une biennale là bas.