06 décembre 2008

Ce bon vieux Jeff

Il m'est très difficile de restituer les impressions éprouvées devant l'exposition Koons à Versailles. Il y avait longtemps que je ne m'étais rendue au château: je devais avoir 12 ou 13 ans tout au plus la dernière fois. Dimanche dernier, sur le moment, j'éprouvais de vive sensations. Les restituer ici, dans mon environnement habituel, fonctionnel, où le pratique prend le pas sur l'apparat, le prestige social, me semble un effort de mémoire insurmontable. Versailles saisit dans ce qu'il déplace instantanément dans une autre époque, dans un autre ordre établi. Un monde, une société, où chaque objet a son importance, sa signification. Une conception à la fois codée et littérale de la notion de "représentation". Des tabourets jusqu'aux rideaux en passant par les boîtes à bijoux, les lits, les oeuvres d'art accrochées au mur, jusqu'à la vue sur le parc, tout doit inspirer la grandeur, la richesse, une sorte d'"avant-garde" (dans le sens de: le meilleur). Tout est travaillé, retravaillé: même les choses simples (les dallages magnifiques; les boiseries étonnantes) se doivent de faire sentir le poids du soin que l'artisan leur aura donné jalousement et par des heures de travail. Les couvre-lits en arrivent à ce titre à se hisser au niveau des toiles de Vigée-Lebrun par exemple, dans une homogénéité quantitative assez remarquable, pour ne pas dire surprenante. À Versailles, un tabouret équivaut finalement à une toile de maître: l'ensemble, le poids de la fonction tient le tout, donne à toute chose un statut d'égalité. Assez post-moderne sans le savoir, finalement!
Alors donc qu'on pouvait avoir peur que les oeuvres de Koons ne dépareillent dans un tel environnement, c'est justement cette déhiérarchisation par le "high" à l'excès (idée sous jacente: dans la maison du roi, tout doit être sublime) qui fait que l'exposition, justement, fonctionne. Notamment, le côté "artisanal" qui a pu faire hurler certains défenseurs du "geste artistique" à propos de l'oeuvre de Koons, prend ici tout son sens. Le soin apporté à la réalisation des oeuvres, leur sporadique spectacularité, la façon désinvolte de parcourir toute la gamme des matériaux sculpturaux (du marbre à l'aluminium en passant par le bois peint) s'accorde en tous points à l'esprit de Versailles, sans parler des sujets représentés qui sont au final d'un classicisme, qui bien que malicieux, n'en reste pas moins attaché et de façon au final plutôt respectueuse à une certaine tradition (natures mortes (Lobster), autoportrait (Self-Portrait), représentation de monarque (Louis XIV), allégorie (Ushering in Banality), saynètes (Bear and Policemen), ornement décoratif (Moon). Seules certaines oeuvres, s'émancipant justement trop de cette filiation classique, déservent l'ensemble et pourraient même aller jusqu'à faire douter le spectateur lambda de la pertinence de l'exposition elle-même (je pense aux New Hoover Convertible1 et à Chainlink Fence, pièce que j'adore en temps normal, mais dont le placement ici m'a fait tressauter en voyant le regard soudain consterné des visiteurs la découvrant en fin de parcours: soudain alarmés, à la "m'aurait on berné?", alors que l'oeuvre fait juste appel à d'autres référents, d'autres histoires, inconnues cette fois ci du grand public... je maudissais l'artiste et les commissaires qui, sur la fin, "se tiraient une balle dans le pied" comme on dit vulgairement).
Dans l'ensemble donc, une réussite. Et, trivialement, une façon de faire redécouvrir Versailles aux amateurs d'ultra contemporain dont je fais partie, qui ont l'art de négliger leurs classiques. Bouh!

1 Récemment alors que nous parlions de l'exposition un ami m'a fait remarquer le caractère totalement misogyne de l'association des New Hoover Convertible avec les portraits de Marie Antoinette avec ses enfants posant en parfaite mère de famille! Je ne peux m'empêcher de penser que ce doit être ce cynique de Jeff Koons lui-même qui a du orchestrer ce rapprochement dont la cruauté un peu mièvre saute désormais aux yeux de la parfaite suffragette que je suis...

10 novembre 2008

Post-Fiac's post

Au moment de me décider à mettre des mots sur cette semaine passée à Paris pour la FIAC et autres activités, je m'aperçois qu'aucune oeuvre ne se détache aussi particulièrement de ma mémoire que les toiles de Jonathan Lasker présentes sur différents stands (au moins deux). Impossible cependant de les décrire plus particulièrement: ce n'était rien d'autre que des Lasker, avec leur lot habituel de couleurs flashies, primaires, d'empâtements et de "bien peint", leur format fier et leurs motifs mi crabouillés mi psychédéliques se détachant crânement sur les murs blancs et le fouillis de la foire.
M'interroger sur le grand vide qui entoure cette perception persistance, obsessionnelle des Lasker à la FIAC, ne se veut pas un jugement métaphorique déguisé sur une hypothétique mauvaise qualité de celle-ci. Car dans l'ensemble, il me semble, et comme pour la plupart des visiteurs avec qui j'ai eu l'occasion de m'entretenir, professionnels comme amateurs, que la foire faisait plaisir à regarder, il y avait des expositions de pièces énormes d'artistes majeurs dans tous les coins, l'éphémère plus beau musée du monde, ici chez nous au cœur de Paris. Un melting pot de goûts, de sensibilités, de centres d'intérêts, de façons de voir l'art. Une véritable affirmation de l'existence à part entière d'une catégorie de monstration qui serait le "stand de foire". Je pense que quoi qu'en disent beaucoup de personnes les foires sont devenues des expositions avec un mode d'emploi un peu particulier, aussi bien pour les artistes que pour les galeristes, les organisateurs, les spectateurs, les professionnels. C'est aussi une sorte de moment grisant où la présence des oeuvres vous euphorise, rend tout possible. Je pense que cette excitation vient véritablement de la présence des oeuvres: ce serait hypocrite de penser que le cadre somptueux du Grand Palais n'y est pas pour quelque chose, mais par exemple on peut aussi ressentir cela à Frieze qui n'est abritée que par un basique chapiteau. Les artistes le savent: ils sont accolés par la force des choses à une démonstration de pouvoir dans les foires. Prise de pouvoir qu'ils savent s'effectuer dans de très mauvaises conditions: mais c'est le jeu. Même pour les artistes qui n'ont qu'une toute petite pièce c'est un acte de résistance, les cadres se crispent à sur les cimaises, ils semblent tous espérer dans un mélange de nonchalance et d'extrême tension l'attention d'abord éphémère puis potentiellement confirmée d'un acheteur ou d'un décideur quelconque.
Bon je risque de disserter longtemps sur le format foire qui nécessite certainement beaucoup de développements, donc je m'arrête et je repense à ma semaine à Paris.
J'ai raté: l'exposition du Prix Ricard, Colomer au Jeu de Paume, Mantegna au Louvre, Melik Ohanian au Plateau, le Futurisme à Pompidou, Antidote aux Galeries Lafayette...
L'exposition qui m'a quand même ravie, ce fut (attention au nom, tenez vous bien) Academia qui es tu? une présentation d'oeuvres de la collection d'Axel Vervoort (il paraitrait que les oeuvres sont à vendre! en tout cas je n'ai pas vu de liste de prix :))
L'exposition est une sorte de collage assez punk d'oeuvres très contemporaines (Orlan, Annette Messager, Hirushi Sugimoto, Tony Oursler, Hans-Peter Feldmann, Luc Tuymans, Anish Kapoor, Berlinde De Bruyckere...) avec des oeuvres modernes (Fontana, Picasso, Miro, Vasarely, Manzoni...) et tout un tas d'oeuvres beaucoup plus anciennes, certaines proches des Arts and Crafts (de la poterie, des pierres de taille néolithiques), d'autres de l'illustration (Daumier) ou de la calligraphie. L'ensemble est présenté sur des grilles recouvrant carrément les bas-reliefs de la Chapelle des Beaux-Arts (effet collage vraiment réussi), joue avec l'espace et les statues monumentales s'y trouvant (gisants notamment). C'est dans la bibliothèque au fond que sont présentées les pièces les plus précieuses, dissimulées au milieu des livres comme de petits trésors, ambiance cabinet de curiosités, d'ailleurs le livret de l'exposition joue de cela, il faut s'amuser à reconnaître les pièces d'une étagère, d'une page à l'autre. Il y a tant de pièces qu'on peut rester facilement deux heures à tout regarder par le menu, ce qui pour un espace somme toute pas immense donne une idée de la densité de l'accrochage (voulue, et qui lui réussit). Bien sûr tout est réuni par la subjectivité du collectionneur qui a lui même certainement hérité d'un certain nombre de pièces familiales et s'est certainement entouré de conseillers artistiques qui repèrent pour lui les meilleures pièces de chaque époque. C'est alors dans ses choix de pièces contemporaines que le personnalité de l'homme se fait sentir. Un choix qui semblerait indiquer que le collectionneur est avant tout attiré par le sensible, la matière, le vernaculaire, l'uncanny, en gros, beaucoup de thématiques liées à la civilisation, à la perception des grands cycles comme la mort, la transformation de la matière, sa perennité ou sa disparition (je pense notamment à des artistes comme Orlan, Jean-Luc Moulène, Robert Filliou, Gabriel Orozco, Berlinde De Bruyckere, Anish Kapoor, Bill Viola, Tony Oursler...) ce qui se retrouve bien sûr dans l'intérêt pour des artistes plus anciens comme Manzoni ou Bellmer.
En tout cas, je suis sortie toute heureuse de toutes ces choses intriguantes, belles ou morbides que j'avais vues dans cette exposition et je trépignais de cette muséographie inventive (quoique bien sûr empruntant à des formats déjà utilisés et en soi, ne comportant rien de nouveau), me demandant alors pourquoi nous autres commissaires d'exposition contemporain rechignons si souvent à ce genre d'accrochages sous couvert de respect de l'oeuvre et de son espace de monstration (ce qui conduit souvent à des expositions vides ou des oeuvres tentent désesperement de couvrir des espaces gigantesques ou l'on est sensés "respirer").
Certainement le fait de négocier les conditions de monstration avec des artistes vivants est une première bonne raison (c'est bien connu, les artistes morts sont moins regardants avec les conditions d'exposition, quand ils n'ont pas d'héritiers tatillons). Mais ce n'est certainement pas la seule. Nous nous laissons enfermer dans des conservatismes à une vitesse infernale, et cette exposition est une sorte de petit coup de pied au derrière pour qui veut bien l'entendre. Je repensais alors au stands de la FIAC et je les trouvais bien moins conformistes maintenant, les collages surréalistes des oeuvres modernes, contemporaines, les tenues colorées des femmes sur détachant sur les peintures, les vidéos et les sculptures, tout se mélangeait dans un joyeux tourbillon formel qui me faisant ressentir les pièces différement, de façon plus simple, plus sensuelle.
Ce qui rejoint finalement quelques constations du début de ce post. La foire est somme toute un format plaisant et je préfère une bonne foire à une mauvaise exposition. Comme celle de Turin notamment dont je suis en train d'arpenter les stands ces jours ci...mais c'est une autre histoire.

21 septembre 2008

Les années 90 sont bien finies...

...du moins en ai-je eu l'impression à la visite de l'exposition de Douglas Gordon à la collection Lambert hier après-midi. L'exposition est certes très bien scénographiée, élégante, tragique mais tout en restant badine, et pourtant, une impression de lassitude, à la limite de l'ennui, se dégage de l'ensemble. C'est une espèce de mélancolie de l'artiste maudit, de spleen XXe siècle étiré, Beigbeder sans l'humour. Les références faciles aux vanités deviennent la caricature d'une obsession des thématiques "fin de siècle". L'ensemble des phrases disséminées ça et là dans l'exposition donne un effet de sous-titrage réussi parfois, téléphoné parce que trop répétitif, malgré un soin attentif donné à la place des lettrages et aux typos, leurs tailles, leurs couleurs. Les tirages photographiques soignés à la taille imposante ne font pas oublier la banalité des sujets et de la qualité artistique des clichés (inintéressantes photos de bébé entre autres). Les ambiances colorées sont en revanche une belle réussite, donnant une tonalité insaisissable à l'ensemble du parcours au sein de la collection, de façon plus discrète, moins martelée, que le reste du show à qui on peut reprocher une globale littéralité.
Douglas Gordon a été une telle figure pour toute une récente génération d'artistes (de Clément Rodzielski en passant par Lars Laumann jusqu'à Benoît Maire) qu'il est difficile de tout remettre en cause ici je suppose. J'ai eu l'occasion de voir plusieurs œuvres de Gordon deci-delà, dans des expositions collectives, dans des livres, dans quelques lieux plus exigus (Le Deutsche Guggenheim à Berlin par exemple) mais je n'arrivais pas à me faire une idée claire de son travail pour autant. Au delà du cas de Gordon cette exposition démontre encore une fois que certains artistes ont réussi à franchir une étape dans le travail de médiation du travail par lui-même, à atteindre un certain niveau de lisibilité par le grand public. En revanche, passé l'impression satisfaisante de savoir-faire, c'est une sorte d'arrière goût décevant, l'impression qu'on a été le rouet d'un "truc". Et si Douglas Gordon avait compris le "truc"?
Il existe des "trucs" en art contemporain. C'est un peu naïf de l'affirmer, et pourtant, c'est vrai. Il m'a récemment suffi de me promener dans l'accrochage d'art américain du LACMA à Los Angeles, pour m'en convaincre encore une fois. La taille des pièces, le soin apporté aux réalisations, le savant mélange des couleurs, les références mesurées à la culture populaire et à certains éléments communautaires reconnaissables dans une polysémie de sens étudiée permettant des pièces lisibles tout en évitant le raccourci, autant d'indices des pratiques mûres, socialement constructives, rassembleuses (voir à ce sujet l'article de Kim West dans Frog de janvier 2008 qui met cette notion politico-critique sur la sellette à l'occasion de Documenta XII) . Parfois aussi, l'amour de l'art pour l'art, de la pièce pour la pièce, donne l'impression d'un non-sujet. Ce n'est pas parce que l'on fait référence de façon subtile à son époque et à ses préoccupations, que l'on en fait forcément une restitution "pertinente" à savoir artistiquement innovante, même si l'on est capable d'en réagencer les signes, de parler en gros le langage de la culture, de façon efficace. Bien sûr, on n'est jamais totalement en capacité de dire pourquoi Ed Ruscha ou Jeff Koons "marche" , ou ne "marche pas" cette fois-ci (bon ok, ils marchent la plupart du temps :)). Mais il est certain que ces codes d'une œuvre d'art réussie, que l'on s'efforce d'inculquer aux élèves d'école d'art de façon plus ou moins réussie, existent, et qu'on peut les repérer ou...noter que malgré leur présence, l'œuvre ne prend pas.
Dès lors ce qui me frappe dans l'exposition de Douglas Gordon, c'est ce fond consensuel dans lequel baignent toutes les pièces, rassemblant comme dans un bon manuel du parfait artiste du XXIe siècle matériaux industriels (plexiglas), phrases poétiques, found footage judicieux, boucles vidéos devant tout à Nauman et consorts, animaux monumentaux et traitement "uncanny" des images du corps (photos brûlées, éléphants, tatouages...), ambiances colorées, sens de lecture complexe, savante manipulation du principe de série, de multiple; référence à l'autre, l'étranger, dans des allégories d'un politiquement correct agaçant à force de mesure (les charmeurs de serpent); évocation des grandes utopies artistiques historiques, du portrait à la vanité en passant par le paysage; soin tout particulier à la bande son, à la bande annonce et aux techniques cinématographiques dans leur ensemble jusqu'à l'utilisation policée de ready-mades, petite célébration personnelle de son propre bon goût à la limite du kitsch, à savoir les affiches de cinéma de la collection privée de l'artiste.
Que de maniérisme! Merde! C'est un cliché d'érudition snob. Cette métaphysique creuse me désole. C'est un art qui ne sert à rien. Du moins pas en ce moment. Je veux bien concevoir que les années 80 aient été les années du bling bling, de l'argent, de la réussite; que les années 90 par conséquent aient été une énorme gueule de bois et que l'aspirine de l'an 2000 commence à peine à dégager les brouillards menaçants qui continuaient de brouiller nos pensées et nos perspectives d'action sur le monde; mais justement, quand dans les années 2000 il semble se produire un sursaut, une véritable envie de relier l'art au monde, de sortir d'une position de neutralité valable mais un peu méprisante, c'est pour moi le moment de sauter sur autre chose, de se mouiller un peu. Alors le fait que cette exposition fonctionne comme une rétrospective excuse certainement ce côté très "nineties", tendance hyper-déprimée. Peut-être Douglas va t'il mieux, qu'il pense à d'autres œuvres. Qui adressent un peu plus le monde, et un peu moins son dos.
PS: en plus j'adore Douglas!!!!!!!!! j'ai travaillé avec lui en 2006 sur Zidane avec Parreno et il est trop chou. Faut il alors prendre ce post comme une sorte de déception personnelle? à vous d'en juger cher lecteur :)

07 juin 2008

The Modern Things

Hier je suis allée visiter l'atelier de Yann Gerstgerber, un jeune artiste marseillais qui fait de la sculpture (pas que, mais en ce moment il est quand même concentré là dessus).
Ses sculptures sont des espèces de grands assemblages colorés, tendance fluo psychédélique, collage 3D de pièces de mobilier, d'objets trouvés, de tapisserie, de moquette, de bouts de bois et de métal empruntés, à l'esthétique proche de l'objet tribal, totémique. Lui même est une espèce de sculpture vivante, avec des baskets en peluche tigrée, des lunettes de soleil rouge et jaunes, une petite crête en zigzag, un t shirt soigneusement élimé, au motif d'un banal presque suspect. Les sculptures sont à son échelle, celle du corps, elles semblent vouloir se faire plus grosses, plus rutilantes que ce qu'elles ne sont en réalité, s'étirer, se faire remarquer, prendre toute la place. Elles dardent de façon enthousiaste, presque agressive, les éléments épars et souvent reconnaissables qui les composent, formant des figures géométriques que la symétrie attire. Elles paraissent animées d'intentions propres; elles se comportent comme des manifestes naïfs, comme la rose du petit prince pointant de façon crâne ses cinq épines pour la défendre contre les tigres du monde. Naïf, tribal: le garçon s'avoue de lui même très attiré par l'art brut, celui d'Henri Darger notamment. On retrouve de façon amusante beaucoup de détails de l'oeuvre de Darger dans les sculptures de Yann, bien que de façon cryptée et complètement transformée, traduite dans son propre langage. Dans ses planches Darger raconte la façon dont il soutient un peuple d'enfants à résister à une armée de créatures mi-ange mi-démon les attaquant de nulle part. Cette spiritualité frontalement manichéenne est très prégnante dans l'œuvre de Darger, s'exprimant de façon très littérale. Dans les sculptures de Yann, cette spiritualité, cette aspiration à la morale, s'expriment à travers la forme du votif, de l'autel, de l'amulette, du talisman, en tant qu' objet spirituel qui porte à la contemplation, la prière, ou octroie protection. La tâche du créateur dans les deux cas serait de défendre un objet de pureté symbolique (les enfants pour Darger, le potentiel animique de chaque objet pour Yann) des attaques d'un environnement extérieur hostile (les adultes chez Dargeret, l'overdose visuelle contemporaine chez Yann?) et de tenter de protéger cet objet en le faisant passer du statut de simple symbole à celui d'œuvre (une BD, une sculpture). Ainsi l'obsession du créateur peut prendre son autonomie et commencer à s'exprimer de façon propre dans les purs domaines de l'esthétique et de l'art.
Quel est cet intérêt étrange pour les objets manufacturés que partagent nombre de jeunes artistes aujourd'hui (pour mon plus grand plaisir, je suis de cette génération que les objets enchantent pour leur potentialité à évoquer une vie propre, un univers autonome) ? L'objet devenant module, l'objet comme tautologie suprême : il n'est jamais que ce qu'il est simplement en tant que pure forme. Et c'est pour cette fonction première, d'avant l'usage, que l'objet est de nouveau utilisé dans le champ de l'art, dépassant même le ready-made (Yann dit d'ailleurs: "je déteste les ready-made" et en plus on se souvient en discutant que le premier ready-made était un ready-made arrangé, pour tout dire une sculpture puisque c'est la roue de vélo sur le tabouret!). C'est à dire que l'objet aurait une forme, une signification première, d'avant le temps de l'usage, de la fonction. Cette sculpture cherche à faire appel à quelque chose de l'ordre du avant, de l'idée dans le sens platonicien du terme, du primitif. Il y aurait donc quelque chose avant la forme? Quelque chose d'antérieur, libéré de toute connotation? C'est de ce fantasme que se repaît la sculpture de Yann Gerstgerber, Lili Reynaud, Daniel Dewar et Grégory Gicquel, comme autrefois (et encore maintenant!) celle de Bertrand Lavier, saint patron des précédents. La sculpture comme source, comme érection première, originelle.
Comme dit Björk:
"the modern things have always existed
they've just been living
in a mountain
till the right moment"
Émettre l'hypothèse de l'existence d'une pré-société; d'un monde uniquement fait de formes; de la possibilité de l' a-social (l'absence de société): allo, Piet?
Je ne vais pas vous renvoyer au livre catalogue DCA pour lire l'excellent texte du commissariat (dont je suis co-auteure) sur le Syndrome de Broadway, mais je pense que ce post pourrait en être une des prolongations logiques.
À méditer devant un Gerstberger.

28 avril 2008

Freak show

J'étais à Paris le week end dernier (plus ou moins) et j'ai été voir l'expo Freak Show à la Monnaie de Paris. J'ai payé 6 euros et je ne suis pas sûre d'en avoir eu plus pour mon argent que si j'avais vu une vraie femme à barbe ou un nain unijambiste.
Déjà bon je connaissais la plupart des pièces (coucou le Lainé et le Patrick et Claude d'ITANOMTHUB) mais en même temps je triche je suis commissaire d'exposition!! Ensuite le lieu est ingrat et magnifique en même temps, je crois que c'était mieux à Lyon, ça avait l'air de prendre plus d'ampleur, avec le papier peint aussi ça rendait quelque chose, là les pièces avaient l'air un peu en décomposition sur leur velours à l'allure déjà décrépie, mitée, avec les boiseries qui craquent et les grands gardiens blacks qui faisaient des remarques hilares sur les pièces (et nous qui payons pour les voir du même coup peut être était ce nous les Freaks!!) alors oui parfois il faut que l'art s'échappe du musée mais là je n'étais pas convaincue. Ça faisait un peu expo de design aussi (d'ailleurs pour me donner raison il y avait un Robert Stadler, le mec qui fait les nouveaux design de Moulinex). J'ai essayé de calculer aussi combien ils avaient dû gagner avec cette folle entrée à 6 euros et en comptant large 6 semaines d'expo à 6 jours par semaine, ça fait 36 jours, et en comptant bien large 50 visiteurs par jour ça fait 10800 euros donc ça payait le catalogue quand même (et encore) et je pense à Pécoil qui a monté sa société de production pour pouvoir manger parce qu'il disait que commissaire d'exposition indépendant ça ne payait pas (à une conférence au Plateau je crois?).
Bon, je pense vraiment que j'aurais dû voir celle de Lyon parce que là ça ne m'a vraiment pas excitée et comme ça fait des temps immémoriaux que je n'ai pas vu une exposition collective qui m'excite (peut être qu'Eric Troncy a raison, l'exposition collective est un format mort et re-mort)... ça me fait forcément douter sur la capacité que mes (nos) expositions collectives ont à exciter le public. Doute légitime. Quelle est la mission aujourd'hui d'une exposition collective, sinon celle d'un freak show, d'un assemblage de petits discours disparates réunis autour du fantasme globalisant d'un pauvre intellectuel onaniste qui croit proposer une vision du monde à l'heure où le monde entier en update des milliers (de visions) à la seconde, à la télé sur le web sur les rayonnages des buralistes et aux terrasses de café? Frédéric Wecker de art 21 écrivait dans le communiqué de presse du premier Major Fatal que la critique d'art était l'hybride curieux de la mauvaise littérature et de la mauvaise philosophie, de quels mauvais domaines de pensée l'exposition collective d'art contemporain se veut elle l'avatar monstrueux? Ce en quoi le Freak Show de Pécoil à la Monnaie me déplaît: il se rend, il se vautre dans ce que veux le public d'aujourd'hui en matière d'art contemporain, du basique et du spectaculaire à la fois: de beaux objets design bien produits, compréhensibles en un clin d'oeil, qui se dévoilent, brillants, policés, putassiers presque, ondulant vers l'amateur d'art avec les yeux de Ka (le serpent du livre de la jungle) revendiquant une complexité de façade pour un propos somme toute assez basique et pas effrayant pour deux ronds (après comme dans toute exposition collective le propos global peut être décevant avec malgré tout de bonnes pièces)... On peut louer cet effort de séduction envers le grand public, quand on sait que ce que commencent à collectionner en priorité les jeunes collectionneurs de nos jours c'est le design, mais cela m'interpelle juste: est il encore possible de faire une exposition collective enthousiasmante? Je laisse cette question ouverte et si vous avez récemment vu des expos collectives qui vous ont impressionnées... merci de laisser un commentaire sur ce post! Sur ce, je pars à la Biennale de Berlin mercredi, souhaitez moi bonne chance...
PS: et l'expo de Mike Kelley au Wiels à l'air vraiment super, pour moi qui l'ait traversée en une demie heure avant la fermeture, désespérée de ne pouvoir contempler plus longuement toutes les vidéos, toutes les pièces... mais devinez quoi: c'est une monographie :)

20 mars 2008

Les Majors Fatals

Vendredi dernier j'ai assisté à la conférence de Frédéric Wicker et Cédric Schönewald de Art 21 à la Bo[a]te, et organisée par Astérides.
Hum... c'est intéressant: ils sont les représentants d'une sorte d'intellectualisme de style méta, c'est à dire que ce qu'ils aiment surtout dans l'art... c'est l'art. Ce qu'ils aiment dans les oeuvres en fait, c'est qu'elles "fassent" art. Les oeuvres qui ne questionnent pas leur propre nature d'oeuvre d'art les laissent quelque part de marbre. Bon, il y a quelques évasions à partir de cette trame mais du coup cela dérape souvent dans une sorte de narration un peu simple, avec l'idée que l'oeuvre n'existe que par une intention, une littéralité. Du coup elles perdent un peu de leur magie quand ils les racontent, ça ne fait pas rêver. La description de l'oeuvre de Franck et Olivier Turpin (celle où ils portent des casquettes reliées par leurs visières), est vraiment très factuelle, les comparaisons techniques sont un peu évidentes (c'est une chorégraphie) et du coup le récit devient assez...barbant. Alors que juste VOIR la vidéo suffit, il n'y a rien à dire de plus ni de moins de cette pièce: elle réalise idéalement lu but de l'art qui est d'exprimer un propos sans être discursif.
C'est qu'ils ont une certaine propension à être bavard à la place des oeuvres. Leurs goûts les portent finalement vers des oeuvres un peu muettes, parce qu'ils peuvent ainsi leur prêter d'incroyables intentions, toujours plus incarnées. Les oeuvres un peu trop "bavardes" formellement les effraient un peu parce qu'ils se sentent débordés par leurs sentiments, leurs pulsions. Ils se méfient un peu du "pop", quand ils disent d'un truc que c'est "wahrolien" ils le disent un peu comme les gens qui disent "Sarkozy, il est dangereux" avec un petit sourire très "tirez les leçons du XXe siècle".
Mais sinon, c'est très bien documenté (on sent qu'ils ont vraiment bossé), les références sont pertinentes et soulignent des similitudes d'intentions rafraîchissantes. Au risque d'enfoncer une porte ouverte on sent que les conférenciers sont plus à l'aise s'ils peuvent baser leurs élucubrations sur l'histoire de l'art récente et moins récente, que les petites histoires de la grande histoire de l'art et autres élevages de poussière sont pour eux autant de mythes fondateurs auxquels il est bon de s'achopper, qu'il est bon de sentir encore vivants. De là, et c'est selon moi la meilleure réussite de cette conférence, c'est qu'on sent chez ce duo un amour sincère des oeuvres, de l'art pour sa capacité à dire, à s'interroger, à mon avis nullement feinte. Il y a un vrai enthousiasme pour l'art allié à un certain sens du réalisme et la conscience que l'art a une vraie portée politique et pas seulement dans le sens romantique du terme. C'est assez rare de voir les deux conceptions cohabiter chez une même personne et à fortiori deux cela relève du miracle!
Ainsi je pense que malgré l'absence de discussion à la fin qui en a frustré plus d'un, ce fut une belle première pour Astérides, avec un public attentif resté malgré la durée, grâce à la qualité de la conférence.
Une tentative d'être incisif quitte à égratigner la scène locale en passant est une prise de risque qu'on saluera, ainsi qu'une impartialité journalistique envers leur hôte sont également à mettre au crédit de la sincérité de ces premiers "critiques". Cédrick Schönewald dit que d'autres rédacteurs d'art 21 qui mèneront les séances à venir ont d'autres points de vue encore différents, que le journal n'est pas du tout monolithique. On attend avec impatience la prochaine!

06 mars 2008

Heureusement que le 29 février n’existe que tous les quatre ans

(sinon c’est trop déprimant)

Enfin, je veux parler de CE 29 février, celui où je suis allée, pleine d’espoir, me masser avec mes confrères « cultureux » devant la préfecture pour manifester contre les coupes budgétaires.
Hum…manifester. C’est un bien grand mot : quelques échalas en bonnets arborant des pancartes faites main qui feraient rougir n’importe quel directeur artistique de la CFDT, des groupes de stagiaires en médiation culturelle qui sèchent les cours en fumant des clopes, apparemment (me dit un informateur plus au fait des figures de la scène marseillaise que moi) toute l’intelligentsia culturelle est là et je guette, parmi ces visages quelconques, la trace d’un charisme censé forcer les portes de la préfecture et défendre notre cause avec panache et brio.
Mais non. Les CRS nous contemplent avec une opacité que mes co-manifestants prennent pour de la bêtise, et que je prendrais pour du contentement de ne pas avoir à taper sur les producteurs culturels, que je suis sûre au final ils respectent et dont ils sont même, si ça se trouve, consommateurs des productions. Bref.
Bien évidemment, personne ne scande, il n’ y aucun orateur (personne n’ose prendre la parole, la notion de leadership a éte radiée du vocabulaire depuis bien longtemps), la manif’ s’étiole d’elle même dès lors qu’une bande de flics en farandole nous pousse doucement (il faut voir tout le monde rigoler niaisement) derrière une barrière et que certains qui en ont profité pour faire du RP tout auréolés de leur conscience politique bon marché s’éclipsent pour boire des bières à la brasserie hors de prix du coin avec leurs nouvelles conquêtes…
J’en viens au but de ce post : je ne comprends pas le manque de cohésion des cultureux lorsqu’il faut faire face à ce genre de revendications. En effet, je crois que finalement personne n’a été reçu par la préfecture et que donc nous n’avons pu faire passer aucune revendications, et encore, lesquelles étaient-ce à part ce cri un peu naïf et premier degré que « non à la coupe des subventions » ?
Un des (seuls) points intéressants du meeting culture de Guerini à la Friche le mois dernier était la présence de l’adjointe à la culture de Lyon et de celui de Barcelone. En effet, ce sont des témoins intéressants de comment la culture peut être prise en compte comme un facteur de développement important pour une ville de la taille de Marseille (et donc soumise à des problèmes de cohésion sociale et de prospérité économique disparates et difficiles à solutionner avec les curseurs habituels). La culture est en effet facile à manipuler au niveau local du fait de la diversité de son tissu et de la nature de ses activités (en termes d’emploi, de gentrification, d’occupation des quartiers, de mixité sociale, de travail des femmes, de médiation envers le public, d’accueil, de production de richesse économique et, last but not least ! de production intellectuelle). La culture aide de façon concrète à la prospérité d’une agglomération : Xavier de Grenouille me disait l’autre jour qu’ils ont prouvé qu’une manifestation comme le Festival d’Aix par exemple rapporte dix fois plus qu’il ne coûte à organiser !!! Nous avons alors eu un débat sur la communication autour de ce genre de détails : certains répugnent à les mettre en avant sous prétexte que la culture doit être considérée indépendamment de l’aspect financier, être prise comme la Culture avec un grand C, quelque chose d’abstrait, de sublime à laquelle il ne faudrait pas toucher pour des raisons uniquement symboliques. Mais il me semble que c’est une réflexion à PLEURER de naïveté. Si la culture doit être défendue, surtout auprès du gouvernement actuel, c’est sur la base du facteur de développement important qu’elle représente de façon factuelle pour toute agglomération et nation qui espère retrouver une balance économique stable dans le contexte de la désindustrialisation et la mondialisation des services !! La culture représente une activité locale absolument NON délocalisable, qui permet à des micro-économies de tourner en vase clos, de façon relativement indépendante par rapport aux fluctuations des marchés et de l’économie en général. Le fait qu’elle doive commencer à fonctionner en recherchant des budgets supplémentaires en dehors des aides de l’état est le résultat d’une conjonction historique qu’il ne s’agit en aucun cas de polariser en termes de bien et de mal, comme on l’a fait de façon irréversible avec la mondialisation (pour rappel : la mondialisation n’est ni bonne ni mauvaise, elle est simplement un FAIT). Les associations en sont conscientes, elles le font déjà de façon déjà bien structurée, et c’est de la démagogie pure ou de l’inconscience de croire que le système culturel français (et les autres !) vont pouvoir continuer à innover et à créer avec les seules aides de l’état. Tout cela pour la simple et bonne raison qu’à notre époque, les entités les plus riches ne sont plus les états mais les grandes fortunes issues du commerce et que donc c’est à elles de soutenir la culture en prenant une position morale, que les états doivent inciter comme avec la loi de finance 2003 qui est bien mais qui ne doit être qu’un DEBUT.
Dès lors, l’Etat doit donner l’exemple en continuant à soutenir de façon forte la culture en commençant par augmenter son budget général. On sait bien qu’en culture plus qu’ailleurs on est habitué à faire peu avec beaucoup, et l’on se prend à penser aux choses fabuleuses qui pourraient se passer si l’Etat Français augmentait la part du budget culture dans son budget global ne serait ce que de 1% !! Et de même pour les villes : Marseille dépense 8% pour la culture contre Lyon 20% . Avec les résultats que l’on connaît…et encore, Marseille je pense, n’en déplaise aux Lyonnais, a une plus belle réussite en termes de richesse du monde associatif (du moins au niveau de l’art contemporain, je parle pour ma paroisse) !
On demande alors comment se fait-il que personne dans le domaine de la culture ne se sente capable de porter cette parole porteuse d’espoir, de prêcher cette vérité économique pourtant indéniable ? Et bien, je pense que c’est par mauvaise conscience. Le monde de la culture vit encore sur une espèce de fond idéologique marxiste, et envisager que l’on puisse utiliser le capital pour faire prospérer la culture est une idée insoutenable pour certains gardiens de l’orthodoxie culturelle ! Mais qu’ils sachent bien que ce sont eux les fossoyeurs de notre culture, les réactionnaires, les anti-progrès et les passéistes qui pousseront leurs camarades à aller vers de plus en plus de marginalité, de dépendance, et de rétrécissement des idées !
Il faut parler aux politiques avec des mots qu’ils comprennent : nous organiser pour leur démontrer exemple à l’appui que des villes comme Lyon, Barcelone et bine d’autres encore ont fondé leur prospérité et leur attractivité sur la Culture, avec un grand C !
Tant que les acteurs de la culture ne cesseront pas d’être dans l’angélisme et le déni, alors il ne pourra rien se passer et le dialogue entre les pouvoirs publics et les gens qui se préoccupent de et agissent véritablement pour la culture continuera d’être un dialogue de sourds ! Nous demandons aux pouvoirs publics de comprendre les enjeux artistiques de notre création, alors essayons de faire de même et de traduire en termes intelligibles les enjeux culturels, sociaux, économiques et politiques de la culture que nous défendons - car elle en a ! Il faut cesser de se défendre de toucher et de parler de ces aspects sous prétexte que nous serions de purs créateurs. C’est faux ! Nous avons les idées et les compétences pour élaborer une véritable politique culturelle en conjonction avec le gouvernement. Il faut les rendre visible ! Arrêter de nous autocensurer, et commencer à échanger entre nous pour rendre intelligible notre cause.
Ouf, on a quatre ans avant le prochain 29 février.


11 février 2008

Droit de réponse, comme d'hab!

Je me permets de publier un commentaire de Jill Gasparina au sujet du post précédent:

Chère Dorothée,

Effectivement, je crois que tu n'as pas compris mon propos (mais peut-être n'était-t-il pas suffisamment clair). Et je ressens le besoin de m'expliquer car tu dresses de moi un bien curieux portrait dans ce texte. Le personnage de critique moraliste et manichéenne auquel tu m'identifies me paraît inapproprié, et pour tout dire en total contresens avec mon texte et plus généralement avec mes convictions.

Pour commencer, je serais bien en peine de me lancer dans une défense de l'underground. Pour moi,et je ne suis pas la seule, l'underground renvoie à des stratégies artistiques liées aux années 60 et 70. Je n'en prends pas la défense. Je prends au contraire plus régulièrement la défense d'artistes, qui comme Swetlana Heger par exemple ont fait le deuil de cette catégorie, et brouillent constamment les pistes de la dimension commerciale de l'objet d'art. C'est dans cette perspective que j'ai écrit un livre de vulgarisation sur liens entre l'art et la mode (la mode la plus commerciale, le prêt à porter) ou que je travaille à ma thèse sur la massification de l'art contemporain, en réfléchissant au continuum qui existe entre l'oeuvre d'art et le produit commercial.

En tant que critique, j'ai été plutôt dépaysée devant l'oeuvre de Pierre, qui n'a rien de pop, ni de massifié. Tu conviendras que lorsqu'on parle d"underground" aujourd'hui, dans le monde de l'art, c'est généralement de manière galvaudée: j'entends par là que le terme a perdu la valeur positive qu'il possédait il y a une trentaine d'années, et il est utilisé avec un soupçon de méfiance, ou de condescendance, au choix, ce que ton indignation ne fait que pointer à nouveau. Je ne déplore pas ce fait, je le constate. Je suis tout sauf nostalgique de l'underground. Je m'intéresse bien plus à d'autres stratégies, à la schizophrénie de l'artiste en régime commercial, à sa double conscience. Remarque d'ailleurs que j'ai ajouté les références à Dan Graham ou à Warhol, comme exemples d'autres stratégies possibles. Je n'ai donc jamais et en aucun cas voulu dire qu'il n'y a pas d'underground pop, ni que seul l'underground avait de la valeur, puisque je pense exactement le contraire et que je n'ai pas cessé de le penser pendant que j'écrivais ce texte.

Si j'emploie ce terme, et avec toutes les pincettes du monde, c'est que malgré tout il décrit parfaitement la stratégie artistique de Pierre Beloüin. Il incarne et non sans auto-ironie me semble-t-il, ce qui n'est rien d'autre qu'une posture, un costume, un masque, il la performe continûment et porte pour ainsi dire toute la panoplie de l'underground, qui définit sa persona d'artiste. En accumulant les références, je ne cherche qu'à souligner que cet ethos ne peut être aujourd'hui qu'une posture, ce qui ne rend pas le travail de Pierre moins intéressant mais au contraire plus trouble et plus riche.

Tu ne trouveras jamais dans aucun de mes textes l'éloge d'une quelconque pureté morale de l'art. Et je partage tes indignations. Je suis donc contente de t'avoir permis de délier ta plume, mais je pense que tu te trompes de personne, puisque je suis d'accord avec toi, en totale opposition avec cette" petite vision manichéenne du monde".

Bien à toi,
Jill


26 janvier 2008

De l'underground

Je suis très interloquée par le texte de Jill Gasparina que je viens de lire dans le catalogue de Pierre Belouin, qui a actuellement une exposition au Frac Paca à Marseille.
Il y a une espèce de délire sur l’underground. Jill essaye en fait de prouver que Pierre Belouin est un des héritiers purs de l’esprit de l’underground, que c’est un utopiste fini, qui sort complètement des sentiers battus, que quelle chance de pouvoir enfin voir ce travail tellement souterrain et volontairement plein d’une pudeur liée d’un temps où on savait ce que c’était que l’honnêteté artistique (enfin, j’extrapole, il faut le lire pour vous même) etc.
Je cite : « Underground. Ce terme a été largement galvaudé » (???) « au point qu’on en oublie la réalité culturelle à laquelle il faisait référence » (et là attention) « celle d’individus ou de collectifs d’artistes exigeants » (merci pour les autres) « volontairement en marge de la dominante pop » (il me semble qu’il y a aussi un underground pop non ???).
Bon. En gros, il y aurait les underground, ceux qui ont le droit d’exister, qui sont exigeants, qui sont les purs en quelque sorte, et puis les autres, les corrompus, les pourris, ceux qui se soumettent à la société et à ses envies forcément viciées et dégueulasses. Cette petite vision manichéenne du monde a le mérite d’être claire et de couper l’herbe sous le pied à la plupart des nuances possibles, de renvoyer définitivement dans leur pénates ceux qui ne seraient pas d’accord et d’instaurer une sorte de caste des « justes » qui auraient raison sur les autres. De plus, personne n’est censé le savoir sauf eux, vous voyez dans quelle position embarrassante on se trouve si on souhaitait éventuellement contester cet état de choses (réactionnaire, mal informé, ou pire ! pas assez cultivé).
Bon après il y a l’habituel name dropping que nul n’est censé ignorer mais ça on a encore le droit d’avoir des références que je sache même s’il me semble que cette accumulation de noms ne me fait pas me rapprocher particulièrement de l’univers de l’artiste, au contraire, elle aurait plutôt tendance à le renvoyer dans une petite case bien délimitée dont on est prié de ne pas sortir, merci (son travail a au demeurant l’air plutôt intéressant, ludique, clever comme disent les Anglais).
Je ne sais pas : déplorer le commercial, perpétuer cette réflexion simpliste sur ceux qui sont de part et d’autre d’une « barrière » qui ne continue finalement d’exister que parce que l’on en parle, il me semble que c’est ça le vrai risque réactionnaire, que ça induit des notions de clans et de pureté qui me font peur dans notre société de métissage. Le vrai brassage c’est celui des intentions pas des disciplines. Sans compter qu’une exposition dans un FRAC n’est pas le truc le plus underground du monde en soi, quand même. C’est génial (surtout le Frac Paca que j’adore comme lieu), mais vraiment pas confidentiel.
Voilà. Donc je ne comprends pas vraiment le propos de Jill. Bon je suppose si je la vois elle aura tout un tas de bonnes raisons de m’expliquer et comme d’habitude je me rendrai à ses explications mais là à chaud c’était important de s’indigner. Je veux dire, quand c’est écrit, c’est écrit, hein, on peut pas toujours écrire des choses et puis espérer qu’on n’a rien dit, qu’il ne s’est rien passé. L’écriture est un événement en soi. Sur ce je retourne bosser. Bon week end

17 janvier 2008

En passant

salut à tous
Ceux qui sont complètement insomniaques et ocntinueut courageusement à se connecter sur ce blog largement inactif depui un an ont peut être cru avoir la berlue et voir un post daté d'il y adeux jours et depuis retiré. En effet j'ai eu une vive discussion avec l'ami dont je parlais dans cet article et donc je l'ai retiré.
Ca nous pose beaucoup de questions (enfin dans un premier temps à moi personnellement) sur la liberté d'expression et l'autocensure qui nous gouverne tous sutout dans ce petit monde consensualiste et minuscule qu'est celui de l'art contemporain, et donc je suis frustrée et j'ai envie de balancer.
Je viens de relire un texte sur l'art engagé et du coup je repensais à Claire Fontaine. Je me rends compte que j'ai oublié de dire dans ce blog que je suis contre. Ce sont des imposteurs.
Ceux qui ne sont pas d'accord peuvent commenter et si vous êtes sages je vous raconterai bientot pourquoi. En attendant n'achetez rien (surtout par la brique dans le livre qui est un scandale) et on se reparle bientôt. Sur ce...