06 décembre 2008

Ce bon vieux Jeff

Il m'est très difficile de restituer les impressions éprouvées devant l'exposition Koons à Versailles. Il y avait longtemps que je ne m'étais rendue au château: je devais avoir 12 ou 13 ans tout au plus la dernière fois. Dimanche dernier, sur le moment, j'éprouvais de vive sensations. Les restituer ici, dans mon environnement habituel, fonctionnel, où le pratique prend le pas sur l'apparat, le prestige social, me semble un effort de mémoire insurmontable. Versailles saisit dans ce qu'il déplace instantanément dans une autre époque, dans un autre ordre établi. Un monde, une société, où chaque objet a son importance, sa signification. Une conception à la fois codée et littérale de la notion de "représentation". Des tabourets jusqu'aux rideaux en passant par les boîtes à bijoux, les lits, les oeuvres d'art accrochées au mur, jusqu'à la vue sur le parc, tout doit inspirer la grandeur, la richesse, une sorte d'"avant-garde" (dans le sens de: le meilleur). Tout est travaillé, retravaillé: même les choses simples (les dallages magnifiques; les boiseries étonnantes) se doivent de faire sentir le poids du soin que l'artisan leur aura donné jalousement et par des heures de travail. Les couvre-lits en arrivent à ce titre à se hisser au niveau des toiles de Vigée-Lebrun par exemple, dans une homogénéité quantitative assez remarquable, pour ne pas dire surprenante. À Versailles, un tabouret équivaut finalement à une toile de maître: l'ensemble, le poids de la fonction tient le tout, donne à toute chose un statut d'égalité. Assez post-moderne sans le savoir, finalement!
Alors donc qu'on pouvait avoir peur que les oeuvres de Koons ne dépareillent dans un tel environnement, c'est justement cette déhiérarchisation par le "high" à l'excès (idée sous jacente: dans la maison du roi, tout doit être sublime) qui fait que l'exposition, justement, fonctionne. Notamment, le côté "artisanal" qui a pu faire hurler certains défenseurs du "geste artistique" à propos de l'oeuvre de Koons, prend ici tout son sens. Le soin apporté à la réalisation des oeuvres, leur sporadique spectacularité, la façon désinvolte de parcourir toute la gamme des matériaux sculpturaux (du marbre à l'aluminium en passant par le bois peint) s'accorde en tous points à l'esprit de Versailles, sans parler des sujets représentés qui sont au final d'un classicisme, qui bien que malicieux, n'en reste pas moins attaché et de façon au final plutôt respectueuse à une certaine tradition (natures mortes (Lobster), autoportrait (Self-Portrait), représentation de monarque (Louis XIV), allégorie (Ushering in Banality), saynètes (Bear and Policemen), ornement décoratif (Moon). Seules certaines oeuvres, s'émancipant justement trop de cette filiation classique, déservent l'ensemble et pourraient même aller jusqu'à faire douter le spectateur lambda de la pertinence de l'exposition elle-même (je pense aux New Hoover Convertible1 et à Chainlink Fence, pièce que j'adore en temps normal, mais dont le placement ici m'a fait tressauter en voyant le regard soudain consterné des visiteurs la découvrant en fin de parcours: soudain alarmés, à la "m'aurait on berné?", alors que l'oeuvre fait juste appel à d'autres référents, d'autres histoires, inconnues cette fois ci du grand public... je maudissais l'artiste et les commissaires qui, sur la fin, "se tiraient une balle dans le pied" comme on dit vulgairement).
Dans l'ensemble donc, une réussite. Et, trivialement, une façon de faire redécouvrir Versailles aux amateurs d'ultra contemporain dont je fais partie, qui ont l'art de négliger leurs classiques. Bouh!

1 Récemment alors que nous parlions de l'exposition un ami m'a fait remarquer le caractère totalement misogyne de l'association des New Hoover Convertible avec les portraits de Marie Antoinette avec ses enfants posant en parfaite mère de famille! Je ne peux m'empêcher de penser que ce doit être ce cynique de Jeff Koons lui-même qui a du orchestrer ce rapprochement dont la cruauté un peu mièvre saute désormais aux yeux de la parfaite suffragette que je suis...