14 mars 2006

Sur le travail d'Alexandre Meurant

Texte rédigé à l'occasion de la parution du catalogue présentant le travail effectué en 2004/2005 au Chateau de Lourmarin, Provence

Je rencontrai le travail d’Alexandra Meurant par hasard, au détour d’un couloir de l’école des Arts Décoratifs de Strasbourg, où nous effectuions toutes deux nos études il y a quelques années. Deux grands tirages photographiques noirs et blancs séchaient, solidement arrimés à une grande planche de bois par des morceaux de scotch brun. Ils représentaient tous deux une jeune fille, en train de manger une glace, à la différence près que sur un cliché elle regardait quelque chose dans le hors champ, et que dans l’autre elle fermait les yeux. On passait avec facilité d’un cliché à l’autre, hop, yeux ouverts, yeux fermés, comme dans un moment fugace dont on saisissait avec clarté la fraîcheur et la simplicité, la saveur citronnée de la glace, la chaleur du soleil, la distraction de la foule derrière. La rencontre avec la fille à la glace, hop, yeux ouverts, yeux fermés, me poursuivit quelques jours encore ; puis, les photos sèches, elles disparurent et ainsi s’acheva ma première rencontre avec le travail d’Alexandra.
Cette première rencontre me donne a présent matière à éclairer le reste de sa pratique, à la lumière de cette histoire de rythme et de visage.
Bien sûr, Alexandra développe en premier lieu une pratique de portrait. Le visage humain et les différentes façons dont on peut le capturer en image sont pour elle source de créativité sans cesse renouvellée : diptyques yeux ouverts, yeux fermés, mais aussi portraits d’enfants, d’amis, d’inconnus (mariés et acteurs, Alexandra s’attelant au portrait de commande avec une fraîcheur et un enthousiasme foncier), et surtout d’habitants d’un village de Provence où elle effectua une résidence deux ans durant, Lourmarin.
A Lourmarin encore, où elle photographie avec constance et curiosité les habitants un par un, le maire, le boulanger, l’épicier, les vieilles dames discutant, les enfants et les parents, le postier et les jeunes du village, l’écrivain farfelu et le restaurateur épicurien, on peut encore sentir cette histoire de rythme, l’instant délicat de la pose, figée avec spontanéité entre deux instants fugaces. Le talent de la photographe est alors de nous faire sentir cette vie, l’instant où le modèle, en confiance, peut tout aussi bien fermer les yeux en une offrande faite à la vérité de l’appareil photographique.
Cette envie de regarder véritablement, en toute objectivité, pourrait en fin de compte se reformuler en disant qu’Alexandra Meurant photographie le visage comme un paysage.
Cette constatation l’amène alors, dans un souci de curiosité théorique, à effectuer le trajet inverse : dernièrement, elle s’attache à photographier, dans le même souci diptyque qui révélait déjà tant de choses dans les clichés jumeaux de la fille à la glace, les paysages comme des visages.
Alors voilà : Alexandra fait à présent des photographies appartenant au genre (parfois dévoyé parce que considéré à tort comme platement commercial), de la photographie de décoration. Alexandra photographie maintenant des intérieurs, avec sensibilité, consciencieusement, comme elle acceptait avec une intelligence rare l’aspect contraignant du portrait de commande, en tant qu’il génère un mode de relation particulier entre le modèle et le photographe. Elle s’intéresse maintenant au lieu de vie de ses modèles. Dans ceux-ci elle traque les petits signes d’usage, qui maintiennent un intérieur en vie et décèlent la présence discrète de leurs propriétaires, les petites manies, les conforts rassurants. Alexandra fait cela avec délicatesse ; ainsi lorsqu’elle arrange côte à côte le portait de Hervé, un artiste français installé à Berlin, à côté d’un cliché de son intérieur, platine vinyle désuète, piles de disques français appuyés avec mélancolie sur le rebord de la fenêtre, dans une lumière de contre-jour évoquant un froid milieu de journée dans le nord de l’Europe, le visage que nous découvrons ne nous est pas inconnu ; ses yeux ont contemplé cette fenêtre pâle, l’appareil solitaire, tout comme nous sommes en train de le faire simultanément, dans un triangle parfait entre modèle, photographe, et spectateur.
Maintenant, vous pouvez peut-être vous amuser à saisir les mouvements des habitants de Lourmarin, puisqu’il s’agit d ‘eux ici, à la lumière de ces considérations sur le travail d’Alexandra. Non qu’il s’agisse d’une pratique conceptuelle que la sienne : les clichés se livrent d’eux même et avec franchise, recourant à une énergie visuelle et à une maîtrise technique de la photographie remarquable. Mais ce fond théorique, cette interrogation intrinsèque et accompagnant toujours l’aspect pratique du geste photographique, permet à Alexandra de saisir avec une sensibilité et une honnêteté rares l’humanité de ses modèles, avec un souci pictural n’étant pas sans rappeler les nobles préoccupations du médium par lequel elle a d’abord commencé, la peinture.

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