26 janvier 2008

De l'underground

Je suis très interloquée par le texte de Jill Gasparina que je viens de lire dans le catalogue de Pierre Belouin, qui a actuellement une exposition au Frac Paca à Marseille.
Il y a une espèce de délire sur l’underground. Jill essaye en fait de prouver que Pierre Belouin est un des héritiers purs de l’esprit de l’underground, que c’est un utopiste fini, qui sort complètement des sentiers battus, que quelle chance de pouvoir enfin voir ce travail tellement souterrain et volontairement plein d’une pudeur liée d’un temps où on savait ce que c’était que l’honnêteté artistique (enfin, j’extrapole, il faut le lire pour vous même) etc.
Je cite : « Underground. Ce terme a été largement galvaudé » (???) « au point qu’on en oublie la réalité culturelle à laquelle il faisait référence » (et là attention) « celle d’individus ou de collectifs d’artistes exigeants » (merci pour les autres) « volontairement en marge de la dominante pop » (il me semble qu’il y a aussi un underground pop non ???).
Bon. En gros, il y aurait les underground, ceux qui ont le droit d’exister, qui sont exigeants, qui sont les purs en quelque sorte, et puis les autres, les corrompus, les pourris, ceux qui se soumettent à la société et à ses envies forcément viciées et dégueulasses. Cette petite vision manichéenne du monde a le mérite d’être claire et de couper l’herbe sous le pied à la plupart des nuances possibles, de renvoyer définitivement dans leur pénates ceux qui ne seraient pas d’accord et d’instaurer une sorte de caste des « justes » qui auraient raison sur les autres. De plus, personne n’est censé le savoir sauf eux, vous voyez dans quelle position embarrassante on se trouve si on souhaitait éventuellement contester cet état de choses (réactionnaire, mal informé, ou pire ! pas assez cultivé).
Bon après il y a l’habituel name dropping que nul n’est censé ignorer mais ça on a encore le droit d’avoir des références que je sache même s’il me semble que cette accumulation de noms ne me fait pas me rapprocher particulièrement de l’univers de l’artiste, au contraire, elle aurait plutôt tendance à le renvoyer dans une petite case bien délimitée dont on est prié de ne pas sortir, merci (son travail a au demeurant l’air plutôt intéressant, ludique, clever comme disent les Anglais).
Je ne sais pas : déplorer le commercial, perpétuer cette réflexion simpliste sur ceux qui sont de part et d’autre d’une « barrière » qui ne continue finalement d’exister que parce que l’on en parle, il me semble que c’est ça le vrai risque réactionnaire, que ça induit des notions de clans et de pureté qui me font peur dans notre société de métissage. Le vrai brassage c’est celui des intentions pas des disciplines. Sans compter qu’une exposition dans un FRAC n’est pas le truc le plus underground du monde en soi, quand même. C’est génial (surtout le Frac Paca que j’adore comme lieu), mais vraiment pas confidentiel.
Voilà. Donc je ne comprends pas vraiment le propos de Jill. Bon je suppose si je la vois elle aura tout un tas de bonnes raisons de m’expliquer et comme d’habitude je me rendrai à ses explications mais là à chaud c’était important de s’indigner. Je veux dire, quand c’est écrit, c’est écrit, hein, on peut pas toujours écrire des choses et puis espérer qu’on n’a rien dit, qu’il ne s’est rien passé. L’écriture est un événement en soi. Sur ce je retourne bosser. Bon week end

6 commentaires:

Anonyme a dit…

houla toi si tu continues tu vas finir au parti socialiste..

tonic a dit…

Chère Dorothée,

Effectivement, je crois que tu n'as pas compris mon propos (mais peut-être n'était-t-il pas suffisamment clair). Et je ressens le besoin de m'expliquer car tu dresses de moi un bien curieux portrait dans ce texte. Le personnage de critique moraliste et manichéenne auquel tu m'identifies me paraît inapproprié, et pour tout dire en total contresens avec mon texte et plus généralement avec mes convictions.

Pour commencer, je serais bien en peine de me lancer dans une défense de l'underground. Pour moi,et je ne suis pas la seule, l'underground renvoie à des stratégies artistiques liées aux années 60 et 70. Je n'en prends pas la défense. Je prends au contraire plus régulièrement la défense d'artistes, qui comme Swetlana Heger par exemple ont fait le deuil de cette catégorie, et brouillent constamment les pistes de la dimension commerciale de l'objet d'art. C'est dans cette perspective que j'ai écrit un livre de vulgarisation sur liens entre l'art et la mode (la mode la plus commerciale, le prêt à porter) ou que je travaille à ma thèse sur la massification de l'art contemporain, en réfléchissant au continuum qui existe entre l'oeuvre d'art et le produit commercial.

En tant que critique, j'ai été plutôt dépaysée devant l'oeuvre de Pierre, qui n'a rien de pop, ni de massifié. Tu conviendras que lorsqu'on parle d"underground" aujourd'hui, dans le monde de l'art, c'est généralement de manière galvaudée: j'entends par là que le terme a perdu la valeur positive qu'il possédait il y a une trentaine d'années, et il est utilisé avec un soupçon de méfiance, ou de condescendance, au choix, ce que ton indignation ne fait que pointer à nouveau. Je ne déplore pas ce fait, je le constate. Je suis tout sauf nostalgique de l'underground. Je m'intéresse bien plus à d'autres stratégies, à la schizophrénie de l'artiste en régime commercial, à sa double conscience. Remarque d'ailleurs que j'ai ajouté les références à Dan Graham ou à Warhol, comme exemples d'autres stratégies possibles. Je n'ai donc jamais et en aucun cas voulu dire qu'il n'y a pas d'underground pop, ni que seul l'underground avait de la valeur, puisque je pense exactement le contraire et que je n'ai pas cessé de le penser pendant que j'écrivais ce texte.

Si j'emploie ce terme, et avec toutes les pincettes du monde, c'est que malgré tout il décrit parfaitement la stratégie artistique de Pierre Beloüin. Il incarne et non sans auto-ironie me semble-t-il, ce qui n'est rien d'autre qu'une posture, un costume, un masque, il la performe continûment et porte pour ainsi dire toute la panoplie de l'underground, qui définit sa persona d'artiste. En accumulant les références, je ne cherche qu'à souligner que cet ethos ne peut être aujourd'hui qu'une posture, ce qui ne rend pas le travail de Pierre moins intéressant mais au contraire plus trouble et plus riche.

Tu ne trouveras jamais dans aucun de mes textes l'éloge d'une quelconque pureté morale de l'art. Et je partage tes indignations. Je suis donc contente de t'avoir permis de délier ta plume, mais je pense que tu te trompes de personne, puisque je suis d'accord avec toi, en totale opposition avec cette" petite vision manichéenne du monde".


Bien à toi,
Jill

nicolas a dit…

Bonjour Dorothée,
Bravo pour ton blog - un peu d'agitation ne nuît pas au débat ! un peu de débat ne nuît pas à l'agitation !
je travaille un peu avec Pierre Belouin - suis moi-même "artiste" sous mon nom (P.nicolas ledoux !) et membre du collectif Ultralab - et donc connaît un peu son travail, que j'apprécie - pour plusieurs raisons - un peu longue à écrire ici mais dont jill - que je ne connais pas - délimite assez bien. ta réaction - que je comprends participe pour moi à l'intérêt du travail de Pierre /sans doute je roule aussi pour moi / mais j'aime cette pâte d'archétype et de références - ce réseau dont pierre et jill savent utiliser et surtout savent poser sur un support bien spécifique : le catalogue. il faut connaître le parcours de pierre pour comprendre pourquoi un texte comme celui-ci - sorte de vitrine officielle de son travail - on est - et personne ne peut le contester - dans un processus de communication, de manipulation aussi - des circuits, des médias, des institutions / position du caméléon… mon analyse / bref résumé - désolé ! / est que pierre est une sorte de super D.A. (terme affreux : Directeur artistique ! mais à redorer pour sa véritable définition) et que optical sound comme ses travaux plus "plastiques" participent à un projet plus large - hybride et mutant - qui parfois lui échappe (quand il fait travailler des musiciens ou des graphistes, des écrivains…), parfois qu'il contrôle (quand il travaille tout seul). il est seul face à une zone en mouvement et il lui donne des petits coups de cutter ou de velour - selon. donc pour pouvoir "institutionnaliser" / "instrumentaliser" cela - il utilise un catalogue… et dans ce catalogue il demande à un commissaire capable de comprendre la complexité et la profusion de ses activités de rendre plus "lisible" sa démarche… et voilà donc ce texte - que je trouve juste et bon dans le sens qu'il remplit sa fonction et participe à la stratégie artistique de pierre… il aurait pu être autre et l'interrogation est plus sur la stratégie que sur le texte et l'utilisation de Underground (de qui / pour qui / par rapport à qui !) voilà pour répondre à ton courroux ! que je peux comprendre… sans doute faut-il aussi voir l'exposition - bien que je comprenne que le catalogue doit-être autonome ! (c'est aussi mon truc - se servir du catalogue comme d'un petit char spécifique qui doit à la fois servir un propos mais aussi jouer avec son support et l'artiste qu'il véhicule). Faire de l'art s'est braconner sur le territoire de l'art… c'est s'infiltrer/s'exfiltrer - jouer du vrai et du bon - du faux et du mauvais. la résistance est à la fois dans la présence et l'absence et cela à tous les niveaux de notoriété et de médias
je crois que nous sommes tous à peu près du même avis.
et je pense aussi que cela doit nourrir un débat : à quoi sert ce genre de catalogue ! à qui il s'adresse et comment en faire un objet radical mais opérationnel ! que du passionnant !
pour t'ouvrir à quelques pistes - si tu ne connais pas :
http://www.biennaledeparis.org/
courage ! fuyons !
nicolas

tonic a dit…

Bonsoir Dorothée,
Relisant cette échange, je me rends compte que j'ai encore envie de préciser les choses.
Je pense qu'il faut distinguer l'underground comme style (celui que je critique) et comme stratégie (celui que j'apprécie). S'il me semble extrêmement naïf de jouer aujourd'hui du premier, le second n'a à mon avis, et je ne suis pas la seule, rien perdu de sa pertinence. Le travail de Pierre s'inscrit évidemment dans la deuxième catégorie. Rejouant tout l'éventail des contre-cultures depuis les 50's, il n'hésite pas d'ailleurs, à évoquer le fun des cultures dites commerciales. Bref. Pierre est l'héritier de nombreuses histoires, et pas seulement l'underground.
Il est profondément engagé dans sa pratique de "super DA", comme l'écrit très justement P. nicolas ledoux. Au final, c'est cet engagement qui m'importe, parce que je le trouve exemplaire, ceci dit sans moralisme aucun: il y a mille manières de résister.
Par un échange vif et rigoureux, par exemple.

Bien à vous tous,
Jill

Dorothée Dupuis a dit…

Salut Jill, salut Nicolas
Disons que le truc que je trouve un peu dissonnant d'un certain côté c'est justement ce que toi nicolas tu as l'air de trouver exemplaire en tant que "coup de cutter" destiné à l'institution. Tu as l'air de suggérer que Pierre Belouyn au frac c'est une sorte d'infiltration, de propagation qui sert ses fins et lui permet de créer ce petit catalogue qui lui même va le servir. Hum. Pour maintenant avoir vu l'exposition elle même, (à l'époque je n'avais vu que le cat) je ne sais pas si cette stratégie existe vraiment consciemment en tant que telle. Il me semble que pierre est plus (dans son travail plastique) dans l'évocation que dans la résistance, (ce que semble plutôt être le contraire dans son travail de musicien d'ailleurs) et justement ce que je reprochais à jill c'était de le placer dans ce combat manichéen dont il me semblait (et l'exposition confirme mes doutes) qu'il n'en avait assez rien à foutre, de se positionner. D'où le post. Ensuite, peut on considérer le frac comme un endroit à subvertir, représente t'il encore suffisamment sa propre charge institutionnelle pour pouvoir être attaqué et/ou contré de la sorte, je ne le crois malheureusement pas. le frac est un instrument justement trop pointu, pas assez symbolique, pas assez public, pour pouvoir jouer ce rôle. Mais c'est un autre débat!!

Anonyme a dit…

Bonsoir Dorothée,

Je vais répondre directement à ton dernier message vu que je suis logiquement bien placé pour ça. Après je vais éviter d'être dogmatique de toute façon je ne sais pas le faire.

Quand Nicolas parle d'infiltration il s'agit je pense d'infiltrer de faire s'infiltrer par le biais de mes travaux des réalisations de plasticiens sonores, graphistes, designers, rédacteurs...sur un mode collectif.
(Ce qui n'est pas nouveau vu ce que nous avons déjà développés avec Nicolas et d'autres dans les domaines de l'édition et ce de manière indépendante dans un premier temps et souvent par la force des choses militantes).
Sinon fort possible que je soit plus "résistant" dans mes réalisations directes avec Optical Sound, mais mes travaux de plasticiens et Optical Sound forment un tout de plus en plus unis, j'y vois donc une cohérence, après bien sûr cette exposition n'avais pas d'optique Politique affirmée de manière "les pieds dans le plat", mais "les hiboux ne sont pas ce que l'on croit".

Je citerai juste un exemple un peu idiot lors de mon arrivée fin 90 aux beaux-arts de Paris je pensais trouver des artistes proches de la musique (de manière globale), ce qui n'a été absolument pas le cas, ma culture est d'abord essentiellement musicale et c'est elle qui m'a ouvert aux arts-plastiques (exemples degré un : Le Velvet/Warhol-Sonic Youth/Mike Kelley).
Alors en effet cela m'a souvent fatigué de voir que la musique était le parent pauvre, et que l'art contemporain s'entichait par exemple de Laurent Garnier... les choses on tout de même un peu évoluées aujourd'hui...
Quand à la résistance je préfère le mot persistance.
Important à noter je déclare justement ne pas être musicien ou graphiste, ce qui est le cas ! Et pourrait éclaircir quelques pistes il me semble sur ces infiltrations qui vont continuer...

Quand au FRAC en tout cas celui de Marseille que je connais bien, j'ai suffisamment fait de rencontres publiques (trop à mon goût) sur la durée des trois mois de l'exposition pour te dire qu'il est très ouvert sur le public, tu aurais dû y passer nous aurions pû discuter directement de tout cela; mais peut-être que par "pas assez public" tu parles d'autre chose, tout comme ton utilisation du mot symbolique.

A bientôt.