18 juin 2011

Entertainment ! (3)

Avec Cécile et quelques autres on discute dans la cuisine, en train de faire du café, beaucoup de café. Bon, en tout cas ça fait plaisir, tout le monde fume. Je tire même avec soulagement sur un pétard qu'un anxieux zêlé à décider de rouler inconsciemment alors qu'il est à peine dix heures du matin. Mais ça va m'aider à me concentrer. Ca y est c'est à peine lancé et déjà on doute. En même temps, c'est trop énorme, ce qu'on est en train de faire. On est obligé d'inventer, et de se poser un peu des questions. Certains pensent qu'il faut quand même faire les dossiers de subventions, que si on les fait pas, ils vont encore utiliser ça contre nous, pour profiter pour sabrer ceux qui se seront vraiment investis dans la contestation, pour les punir. D'autres disent que c'est absurde, que si on est là à gueuler contre le système et à dénoncer son irrationalité, et qu'on a décidé d'une grève générale de visibilité, c'est complètement idiot de continuer à jouer le jeu et de poser les dossiers. Ceux là disent qu'il faudrait inciter tout le monde à ne pas les poser. En même temps, tout le monde a bien sûr peur de n'être pas tant que ça à ne pas le faire, et donc à se faire bananer au final. Je dis que je suppose que ce sont des décisions à prendre avec les salariés et les bureaux des associations. D'autres sont plutôt pour une politique de franc tireur, de type, ceux qui sont là sont là, et ceux qui veulent rester au bureau pour garder la maison et bien ils font ce qui veulent. Ou alors les gens se répartissent les rôles. En même temps c'est pas le tout, il faut qu'on se magne d'écrire ce communiqué de presse, qu'on lance la grosse réunion d'organisation du campement, qu'on définisse des règles de sécurité. On se regarde : on a tous peur de la police, même si on a l'impression d'être des pacifistes et que de plus le fait d'être dans un bâtiment on se dit qu'on va pas se faire tabasser comme les jeunes à Barcelone. On peut pourtant voir sur nos visages que ça nous fait flipper quand même : c'est pas comme si le cultureux de base avait hyper foi en la police en général, et surtout la police française... Enfin. Je pense que tout le monde souhaite ne pas y penser, alors on se disperse en groupes de travail avec notre café.
Je rentre dans le bureau du directeur, et je referme la porte derrière moi. Il y a des étagères, avec quelques bouquins : beaucoup de dossiers : il y a des projets que je connais. Juste le dock de son ordinateur, il doit avoir un portable, il n'est pas là bien sûr. Je m'assieds dans son fauteuil. Je mets les pieds sur la table. J'ai fermé la porte et je savoure les quelques minutes de répit social que l'isolement m'apporte. Je tente de réfléchir au communiqué : peine perdue. De plus, il faut qu'on fasse les mini groupes de travail pour le contenu parce qu'en fait je me rends compte que ce débat est bien plus large que la raison première qui m'a infuriée et incitée à lancer ce mouvement délirant, à savoir la fin des contrats aidés. Ce n'est pas qu'une bataille : ce pourrait bien être le début d'une guerre.
Mais je me sens plutôt alerte : j'ouvre la fenêtre et je regarde en bas. De loin, je vois Rebecca qui s'apprête à mettre son casque, près de son scooter. Je la reconnais à sa masse de cheveux bruns et bouclés. Elle tourne la tête, lève les yeux et me voit. Je lui fais un petit signe : elle me regarde gravement, elle a un sourire un peu gêné, mais ses yeux ne sont pas gênés, ils sont plutôt d'accord, comme pour me dire un peu qu'elle comprend ; peut être même, qu'elle viendrait, si elle pouvait. Mais elle ne peut pas. Pas encore. Elle mets son casque, enfourche son scooter, et s'éloigne sur la place.

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