21 juin 2011

Entertainment ! (5)

Première nuit sur place : nous avons trouvé une vieille douche à l'étage et tout le monde fait la queue un par un. Je suis trop crevée pour me doucher: alors je me brosse les dents dans l'évier de la cuisine, avant de rejoindre Cécile qui a trouvé une combine pour monter sur le toit de la maison par une espèce de mini trappe tout à fait illégale et par une échelle non moins au norme. Mais bon, illégal pour illégal: pour l'instant, nous sommes chez nous et on fait le tour du propriétaire.
Sur le toit, la vue est sublime : la rade de Marseille est toute illuminée. Il n'y a pas trop de bordel sur le vieux port, la nuit est calme, chaude. Assises côte à côte, nous contemplons ce paysage urbain tant aimé, parce que c'est finalement viscéral, d'aimer la ville, cet endroit, cette ligne chaotique qui mêle dans un désastre d'urbanisme le vieux fort Vauban, des résidences modernes de Pouillon, de vieilles bâtisses marseillaises délabrées, des mini maisons en béton poussées là sans doute grâce à la complaisance d'un élu un peu lâche sur les règlementations... tout ça au bord de la méditerranée qui se déroule en Z paresseusement autour de cette ville coupée en deux, au nord les pauvres, au sud les riches. Et qui compte bien rester comme ça. Et qui, et c'est le pire, continue de fonctionner comme ça. A cause de la mer, qui au final, réconcilie tout le monde, pauvres et riches, natifs et immigrés, autour d'un consensus solaire et apaisant, une grande chape de bien être qui engloutit les uns après les autres les problèmes bien au fond. Jusqu'au jour où...
Cécile est hilare. Elle trouve ça génial cette idée, elle est trop contente de signifier le blocage. Elle flippe aussi pour ses subventions, en même temps, elles ont tellement baissé que sinon on se dit en rigolant qu'on va ouvrir un snack mexicain à la plaine, qu'on va faire fortune si ça se trouve. Elle n'a aucun contact avec 2013 en plus alors vraiment, elle trouve juste qu'on est bien chez eux, là, sur le toit, avec un verre de rosé frais (tant pis je me rebrosserai les dents plus tard). On se plaint de nos chargés de mission rendus frileux par leurs élus incultes, même quand pleins de bonne volonté; des subventions en retard d'année en année (essayez de faire fonctionner une boite avec 3 salariés et seulement 4 clients qui payent tous les ans avec de plus en plus de retard!!), les changements de stratégie de dernière minute, les placements de copains, souvent blancs, hétérosexuels et quinquagénaires, aux postes où il faudrait enfin que ça bouge un peu, au jeu de chaise musicale des directeurs de FRACs et de CRAC, de l'impossibilité pour nous de faire carrière en France quand on a pas fait le patrimoine, de l'impossibilité de devenir titulaire en école d'art quand on est pas maître de conf, enfin, de l'impossibilité tout court de se projeter un peu, hors de la misère et de la lutte. Du manque de bon sens aussi, surtout.
Ensuite on se retourne et on se tape des barres de rire en pensant à la ribambelle de nouveaux bâtiments aussi affreux les uns que les autres que les élus mégalos du coin (de droite comme de gauche) ont décidé de faire construire sur l'ancien port industriel à l'horizon 2013 : le MUCEM (délire gothique à la Riciotti) le nouveau FRAC (passe encore, c'est sûr qu'il fallait déménager) et notre préféré : le CEREM. Ahhhhh! Le CEREM. Sublime création en portafaux sur le vieux port, destinée à abriter de nombreux évènements mystérieux à la gloire de la région PACA et ses délices: certainement de grandes expositions photographiques marketées autour de thématiques provençales telles l'huile d'olive ou le savon de Marseille. Ne riez pas : je vois déjà les dibons immenses avec des gros plans de gouttes d'eau fraîches sur les olives appétissantes, avec quelques branches feuillues sur une nappe au motif de cigale. 70 millions d'euros quand même, le CEREM. Du coup, c'est vrai que quand je pense que la région n'a pas augmenté notre subvention de fonctionnement depuis 5 ans je comprends, il fallait économiser. Alors je savoure mon rosé et je me dis que je peux bien me payer une petite soirée avec vue aux frais de la collectivité. C'est vrai, après tout je paye quand même des impôts, merde.

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