20 juin 2011

Entertainment ! (4)

La conférence de presse s'est bien passée. On a réussi à filtrer et à ne laisser rentrer que les journalistes invités : on se bousculait au portillon je dois dire, un peu mieux que d'habitude quand on peine à rassembler trois pelés pour nos soit-disant évènements fédérateurs qui de toute façon, effectués sans aucun soutien de la municipalité en terme de communication, n'ont aucune chance d'atteindre leur public potentiel. Tu m'étonnes, voilà le scoop : plusieurs centaines d' acteurs culturels régionaux se rebellent et occupent les locaux de Marseille Provence 2013, pour une durée indéterminée !! De type action directe, sans les mitraillettes. Parce que la maison diamantée ne désemplit pas. La municipalité a finalement décidé de ne pas envoyer les flics, parce que nous avons appelé tous nos contacts au ministère et ailleurs pour les prévenir et que, conseillée, celle-ci a compris que résoudre ce genre de conflit à la syrienne n'aiderait pas leurs affaires à quelques mois des municipales. Heureux calendrier politicien ! Et il y a les présidentielles aussi bientôt. Quel bonheur d'être enfin inscrits sur la liste des urgences à traiter après tant de mépris ou d'indifférence de la part de la majorité des décideurs locaux.
Je ne m'étendrais pas sur la liste des revendications élaborées par le comité insurrectionnel constitué par les acteurs participant au mouvement : bien sûr, un maintien des montants des subventions de l'état, mais aussi locales, de soutien à la culture; une vraie politique d'emplois culturels (plus d'emplois aidés !); une injonction au ministère d'organiser lui même la collecte de mécénat au niveau national pour compléter ses fonds, et non l'imposer à des acteurs qui n'en ont souvent pas les moyens; une vraie politique de formation des élus aux enjeux de la culture au niveau tant local que national: etc. On a aussi rajouté des petits trucs marrants de type refonte totale de l'Institut Français et de sa politique d'aide aux artistes à l'international, réflexion sur un statut d'artiste plasticien "intermittent", instruction obligatoire de l'histoire des arts à raison de 2h par semaine à partir du collège, obligation pour les municipalités qui ont des locaux vides depuis plus de deux ans de les mettre à disposition des association par baux précaires, j'en passe et des meilleures... juste pour le plaisir d'inventer et d'être force de proposition... et montrer qu'on est pas là juste pour râler, qu'on a aussi des idées et qui ne sont pas forcément liées à l'argent. Qu'avec un peu de bonne volonté et d'idées, et d'une meilleure collaboration, on pourrait faire quelque chose. On ne sait pas si le message est passé. Mon portable commence à sonner assez régulièrement : je reçois des messages de soutien de toute part (ça n'oblige pas à se mouiller plus que ça cela dit). J'espère que les journaliste parisiens vont s'y mettre aussi demain : il se trouve que cette action fait écho de façon douloureuse aux coupes hollandaises, qui voit le budget dédié aux arts visuels là bas baisser de plus de 40%, en perte sèche. On sait que ça va bientôt arriver ici aussi, mais en attendant, on a décidé de protester. Et de faire chier, bien faire chier, une fois au moins. Arrêter d'être dans cette attente complaisante qui définit notre attitude auprès des politiques et des décideurs, cette attitude de larbin sympathique et disponible, quand 2013 a essayé de nous faire avaler des couleuvres aussi absurdes que "on vous donne ce budget pour ce projet si vous promettez de ne plus jamais solliciter la structure pour aucun autre projet". Et encore, s'ils étaient les seuls. Ils ne sont que le reflet dystopique du système culturel en général, créé comme un contre-pouvoir maîtrisé et pitoyable, ennemi fantôche d'un état qui justifie son oligarchie déguisée en démocratie par la soi disant "liberté d'expression" dont nous savons tous qu'elle n'est qu'une illusion, confinée à la sphère du "spectacle" si bien décrit par nos amis situationnistes avant l'heure, dont nous sommes les contestataires complaisants et aigris. Le politique s'est dissout depuis longtemps dans l'"Entertainment". Comme les ouvriers des usines de collants, de voitures et de cocottes-minute, nous voilà à occuper les lieux de pouvoir pour faire entendre notre précarité et notre refus de faire partie d'un système qui nous fait croire que les règles qu'il nous impose sont nos propres règles et les seules possibles. Je pense d'un point de vue personnel que cette occupation ne mènera à rien. Elle nous laissera encore plus exsangue, encore plus désabusés : mais ne rien faire, c'est être complice. Et la duplicité n'est plus supportable, le dégoût de nous même est devenu trop fort : et le besoin de dignité à surmonté la peur de perdre son emploi (merdique). De toute façon, d'emploi précaire en emploi précaire, la majorité d'entre nous ici n'a rien à perdre. Alors, pourquoi pas juste se poser une fois en grain de sable dans la grosse machine, juste pour quelques jours, quelques semaines, quelques mois? Aujourd'hui, dire merde a la forme de ce gros campement qui enfle d'heure en heure, de ces matelas et de ces duvets qui s'empilent dans les couloirs de la maison diamantée, de cette odeur de café et de clope persistante dans les open space, du brouhaha incessant des claviers d'ordi et de téléphone qui twittent aux 4 coins du globe pour annoncer la nouvelle, des conversations téléphoniques qui donnent des conseils pour l'absence, parce qu'on ne sait pas combien de temps ça va durer, tout ça.
Un coup de fil de Rebecca : la direction de 2013, n'est pas contente du tout (je m'en serais doutée). Ils étaient tous à Paris pour une grosse réunion (je le savais aussi, c'est comme ça qu'on a choisi la date), et là, ils sont encore en réunion, d'urgence cette fois ci, au ministère. Ils vont redescendre demain matin pour essayer de parlementer.
Ok, je lui dis. On va bien se marrer.

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