Textes rédigés à l'occasion d'un stage effectué pendant l'hiver 2004.
Miklos Gaál (*1974, Finlandais)
Le XX siecle a posé, épuisé, retourné en tout sens la question du statut de l’image photographique. La photographie fait effectivement appel à notre perception de la réalité : appel également à une espèce de conscience collective des images qu’il importe aux artistes (tels Demand et ses reconstitutions photographiques à sensation, ou Richter, qui prétendait faire la photo avec de la peinture), de nous faire reconsidérer de facon toujours renouvellée.
Le jeune photographe Finlandais Miklos Gaál repose cette question une fois de plus, mais de facon plus ludique et plus poétique, remettant sur la sellete la véracité de l’image vue, celle dans laquelle St Thomas mettait déjà toute sa foi en question il y a de cela deux millénaires.
Ses photos traitant de sujets plus banals les uns que les autres (match de Football, plage en été, bousculade devant un grand magasin…) nous placent d’abord, par un systeme de zones de flou et de netteté improbables, devant la certitude d’avoir affaire à un modèle réduit. Lorsque un deuxième regard vient démentir ce présupposé, la certitude fait place au scepticisme, et les questions inhérentes au médium photographique, telles celles que se posait Roland Barthes dans la Chambre Claire, ressurgissent des limbes de l’Histoire de l’Art. Quel statut que celui de ce temps X cristallisé devant nous ? de cet instant évanoui et pourtant à jamais fixé comme une vérité qui se trahirait constamment ? Quel est ce monde si familier et pourtant aujourd’hui si different ? Et surtout, comment se comporter à l’avenir avec toutes ces autres images que l’on croyait si sûres, si « vraies », et qui participent peut-être à ce mensonge récurrent de l’image photographique ?
Il nous faut alors accepter ce cruel paradoxe qu’est la photographie même, à la fois mensonge et vérité, si nous voulons réellement entrer dans l’œuvre de Miklos Gaál. Le sceptiscisme dépassé, vient enfin le repos, l’apaisement où la réalité s’evanouit pour faire place à l’œuvre.
Une œuvre dont le regard, ludique et plein de tendresse, vient estomper les individualités pour faire place à une humanité réunifiée, nette, sans heurts, aux couleurs lumineuses, et aux situations souvent cocasses.
Car c’est au final le rire que les photos de Miklos Gaál déclenche : un rire neuf, sain, épuré de tout doute ou angoisse. L’angoisse de n’etre qu’homme.
Niko Luoma (*1970, Finlandais)
Surveillez le photographe Finlandais Niko Luoma de très près: ce magicien touche à tout incorpore dans ses très personnels travaux photographiques peinture et sculpture, souvenirs concrets de voyages et inspiration littéralement imaginaire. Le coeur de cette appropriation du réel par le truchement photographique se niche à l’extreme frontière qui sépare la soi-disant réalité de sa représentation par l’image: la réalité n’est qu’un prétexte pour l’artiste, qui se préoccupe plutot de « documenter » l’état imaginaire des lieux dans l’espace de notre conscience. Luoma perpétue ainsi dans son travail la tradition documentaire finlandaise.
On peut distinguer plusieurs niveaux de lisibilité dans le travail de Luoma: au niveau visuel, son travail affirmé mais sensible, très proche de la peinture, convainct par son extravagance et sa recherche chromatique. Au niveau conceptuel, l’image révèle une âme, un espace mental que la formulation du titre vient souligner. En effet, l’artiste accorde une très grande importance à ce dernier, car il fait céder la dernière résistance de l’image: la photo dépasse tout d’un coup l’anecdote visuelle pour évoquer l’indicible situé en dehors du champ de la simple visibilité.
Marilène Oliver (*1977, Angleterre)
Marilène Oliver prend ici le contrepied des traditions les plus établies, en réalisant avec I know you inside out (sculpture réalisée à partir de données digitalisées du corps d’un condamné à mort Texan et mises en ligne dès 1994 sur des sites de recherche scientifique) puis Family portraits (quatre sculptures réalisées a partir de scanners du propre corps de l’artiste et ceux de sa famille), un ensemble de sculptures où les données techniques et médicales prennent le dessus sur le traditionel « mimesis » en vigueur dans le genre artistique plus que rebattu qu’est le portrait.
Ici l’artiste est à la recherche de quelque chose d’autre, comme si nous pouvions « transparaître » de l’intérieur. Oliver est en quête d’une transcendance de l’âme, d’un souvenir du corps, de quelque chose d’un autre ordre que celui de la chair, qui nous parlerait à travers les ombres de ses sculptures. Elle joue sur cette différence très ténue qui existe entre l’âme et le corps, celle que traquait déjà Descartes au 16ème siècle en interrogeant les liens de la conscience et de la science: nous connaissons-nous si nous connaissons notre corps ?
Cette question lancinante demeure devant les sculptures fantomatiques d’Oliver, ou l’appréhension du corps même au sein de la sculpture est rendue difficile par les couches successives de plexiglas qui apparaissent et s’évanouissent au gré du regard mouvant du spectateur.
Car cet étranger, ce meurtrier, ne manifeste pas son inhumanité au travers de la sculpture : au contraire, il s’humanise, il se dote d’une seconde vie au travers de l’œuvre ; tandis que la famille, la chair et le sang de l’artiste, ne s’animent pas soudainement d’une vitalité particulière : aucun geste, aucune émotion ne peut venir troubler leur pose silencieuse et iconique. Là ou l’expérience scientifique échoue, l’art réussit peut-être : telle l’embaumeuse, qui prendrait un soin également jaloux du forcat honni ou du parent adoré, Oliver rétablit l’équité utopique des individus : tous égaux de par la dépouille, la mort même apparaît alors comme une issue poétique à nos destinées chaotiques.
Hans Schüle (*1965, Allemagne)
Peut être moins connu est le travail graphique de Hans Schüle, sculpteur d’un univers oxymorique fait de métal et de formes organiques, dissertant de ces liens étranges qui relient homme et microcosme, science et nature. Ses dessins imposants mais néanmoins d’une rare précision, réalisés à la bombe, perpétuent la démarche particuliére de ce plasticien fasciné par l’organicité cachée des sciences techniques les plus pointues, telles le travail du métal ou la modélisation informatique.
En effet, Hans Schüle ne se contente pas d’utiliser la technique, il la soumet, la dépasse insidieusement, agence les unités glaciales censées être la base du rationnalisme scientifique pour en tirer des formes sensibles, d’une complexité insensée, toujours à la limite de la rupture. Pourtant, Schüle ne se place jamais en juge : il se contente d’agencer, de développer, se contentant de faire et de montrer. Il est avant tout un bâtisseur.
Dans ses dessins la logique est la même : bien que dans un premier temps créées sur ordinateur, les couches de peinture se superposent, se croisent, se décroisent, font disparaître certains motifs et en révèlent de nouveaux.
Une architecture complexe se profile alors, une sorte de logique ou chaos et rationnalité se mêlent en une subtile métaphore de la nature.
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