28 février 2006

Pourquoi les gens veulent ils passer a la tele? / Juin 2004

Où je tente de comprendre le mécanisme mystérieux de l'attraction télévisuelle...et digresse

-Parce que la société au mérite n’existe plus. Nous vivons dans une société du talent. Or le talent n’est pas quelque chose qui s’acquiert, il est inné. D’ailleurs de nos jours, on hait les laborieux (qu’est ce qu’il travaille !).
-Comment est on passé d’une société qui valorise le travail à une société qui valorise le talent ?
-Hypothèse 1 : les gens ont besoin de glamour, et le travail n’est pas glamour. Au delà du fantasme de la progression sociale est le fantasme de la noblesse (née pour régner) hors les hommes cherchent toujours des facteurs discriminants (donc ordonnants) pour organiser le monde.
En l’absence de noblesse aujourd’hui, la beauté (donc la télégénie) a été promue nouvelle noblesse. Vous êtes beaux -> vous êtes alors autorisés à sauter les échelles de la progression sociale.
Je suppose que les gens en ont marre de trimer pour rien. De nos jours en occident le système n’est pas fait pour favoriser le système de la réussite moyenne. Soit on réussit gros, soit on crève. Comme dit 50cents, « Get rich or dye trying ». Il n’y a guère que les milieux (finalement archi calqués sur le système moyenâgeux des artisans) artistique où surnagent les petites réussites (envie de se singulariser).
Les gens et les entreprises veulent réussir vite. Si t’as rien fait avant 30 ans, t’es foutu. L’expérience, on s’en fout. Tout est basé sur une sorte de croyance illusoire en le pouvoir de la jeunesse. Alors que paradoxalement jamais les jeunes n’ont été aussi mal traités.
Peut être en mai 68 en fait. Etant donné que les jeunes n'avaient rien le droit de faire, ils se sont rebellés et ont instauré de nouvelles valeurs profondément contre ce système de travail de mérite et d’expérience. D’où des choses innées et de toute façon fatalistes hyper ancrées dans la croyance païenne du destin. Le culte du corps, de la jeunesse, de la beauté (qui décline, certes, mais laisse sa chance à tout le monde au hasard de la génétique).
Il y a aussi peut être (sans doute) une fascination pour cette injustice. Un plaisir un peu masochiste à voir exciter sous notre nez ces chanceux, les jeunes les beaux, les choisis par la loterie. La société s’excite, à coup de choix injustes ou justifiés par de pseudo travaux (chanter dix heures par jour dans un château avec des stars).
Il semblerait dès lors qu’il y ait deux sortes de travail. Le travail « voulu » et le travail « subi ». Le travail voulu est signe de valorisation sociale au temps où le travail devient un luxe envié par tout le monde. Le travail subi est signe d’échec social (je fais comptable mais je voulais être chanteur).
La chanson et le mannequinat sont devenus ce que la guerre et la croisade étaient aux nobles (pour les beaux et talentueux).
Au fond la société du spectacle voudrait nous faire croire qu’elle est égalitaire (renvoyez votre bulletin découpé dans Télé 7 jours) quand elle justement profondément inégalitaire, dans sa promotion même.
Sans doute c’est l’informatique qui a permis ce passage à l’inhumain. Du temps du papier et des crayons, l’échelle inhumaine du billion semblait loin et peu tangible et il y a fort à parier que les pertes de la crise de 1929 qui forçaient les banquiers de cette époque à se jeter par les fenêtres feraient à peine stresser ceux de nos jours. Échelle différente sans doute. Oui mais différence importante.
Le passage de la microéconomie à la macroéconomie a sans doute broyé l’individu. L’Europe qui semble vouloir perpétuer ses erreurs en se comparant aux chinois s’embourbe certainement dans un méjugement colossal de ce que peut être la particularité de chacun.
Existe t’il un monde où nous trouverons tous notre place ? Il est quand même regrettable que malgré la taille de son cerveau l’homme soit tant sujet à des fluctuations d’instinct toutes animales.
C’est sans doute le concept même de vie citadine qui a conduit à la barbarie du milieu du Xxe siècle. Comment se soucier du sort de tous ces étrangers coexistants dans ce même endroit ? Quelques-uns de plus ou de moins…
Bref, en digressant, en digressant, j’arrive de nouveau à cette super question de la soirée.
Pourquoi les gens veulent ils passer à la télé ?
Par besoin extrême de reconnaissance. La reconnaissance sociale utilitaire du métier intégré au corps social d’antan ne fait plus son office (Il y a quatre boulangeries dans la rue, ce n’es plus utile ce sont des commerces comme les autres).
Les métiers ancestraux sont méprisés (la boulangère : Démeter ; le postier : Hermès ; le soldat : Mars ; la mère au foyer : Héra) et en tout cas plus indispensables.
Il n’y avait pas de dieu mythologique des cadres supérieurs !
Le cadre supérieur n’est qu’un maillon intermédiaire destiné à gérer (à digérer) le passage à la taille inhumaine de l’entreprise par le biais de l’informatique.
Il n’a aucune fonction symbolique dans la société. Il est démystifié d’avance, voué à la froide logique des chiffres. (note : bien que soumis au grand capital, ce qui est mis en cause ici n’est pas le système libéral, mais les passage à l’échelle billion, un phénomène identique se produirait (et s’est produit) sous des régimes communistes).
D’où un besoin impérieux de se faire avaliser par quelqu’un (ou quelque chose) car :
-Être parent ne signifie plus rien : les enfants sont rois.
-Dans l’entreprise le grand patron n’est jamais visible. Le petit chef est au pire un pauvre con qui ne comprend rien et au mieux un obstacle à franchir pour gravir d’autres échelons.
-L’église a disparu, et n’offre aucun refuge de conscience quand à mener un existence vertueuse.
-La publicité et les médias en général prônent une attitude de repli sur soi destinée à maintenir les mécanismes acheteurs basés sur la consommation -> le culte de la beauté participe de cette course à l’armement commercial.
-Les métiers réputés épanouissants sont l’apanage d’une petit élite recrutée par critères de connaissances et/ou de charisme. On fait croire aux autres masses que ces élites travaillent mais il suffit de s’infiltrer dans ce milieu quelques mois pour s’apercevoir du niveau d’incompétence où élève ce mode de recrutement, beauté/classe/talent/connaissance.
Seules 5% de ces agents culturels gagent décemment leur vie, et les autres se partagent les miettes et se gargarisent avec de pathétiques « je gagne mal ma vie mais au moins je fais un métier que j’aime » (repris en cœur à l’inverse par les cadres sup. qui n’ayant aucun talent/beauté/charisme rêvent de passer à la télé (syndrome : j’aurai voulu être un artiste, Balavoine).
Parce que la télé avalise. Entérine. Parce qu’elle présente au monde. La télé est une épiphanie permanente. Elle advient sans cesse. On a beau la savoir éteinte, on peut sentir son flot permanent ruisseler derrière le mystérieux écran noir.
Les gens n’ayant sans doute plus les moyens de prouver quelque chose par eux-mêmes, y ont totalement renoncé. Désormais, ils sont dans une simple énonciation de l’être, où montrer équivaut à réaliser, l’être ne vise pas à se dépasser, mais à se montrer comme il est, dans sa simple tautologie (je t’aime comme tu es).
La beauté est à cette lumière, un symbole confondant. Si notre société adule à ce point la beauté, c’est qu’elle est libérée en tout point de tout rappel laborieux. Elle est, elle advient simplement. Elle se livre immédiatement. Elle ne contient aucun sens, aucun message caché ou dangereux. Elle est le premier degré absolu. Parfait. La beauté ne pose pas de questions, ne cherche pas sa place. La beauté est évidente. Dans ce sens, la beauté est la plus fasciste des qualités. C’est pourquoi la beauté est fascinante. Elle est fascinante car elle est ce qui se rapproche le plus de la perfection, qui est la chose la plus fascinante pour l’homme.
Donc. Paradoxalement dans sa fonction révélatrice, la télé devrait montrer des gens ordinaires d’une façon extraordinaire. C’est peut-être la fonction traditionnelle de l’icône.
Passer à la télé fait de nous une icône aussi simplement que si votre nom avait été gravé dans la pierre. Seulement, le nom rapporte aux actes, quand le visage rapporte à la personne qui qu’elle soit et quoi qu’elle ait accompli (ou non).
Nous vivons dans une époque où la suprématie est accordée à la personne en tant qu’animal et plus en fonction de ses actes.
Avant 1789 une personne inutile (sans fonction sociale reconnue) était tolérée mais marginalisée, limite exclue. L’intériorité de la personne ne comptait pas.
Ensuite en proclamant la dignité de l’individu, de la personne, on lui attribue un intérêt inaliénable qui lui est propre, et indépendant de son statut social.
Paradoxalement, à notre époque on n’a jamais autant dénié aux gens le statut de personne.
Peut-être qu’être une personne c’est un entrelacs indémêlable de l’intériorité et de fonction sociale. Peut-être chercher à séparer les deux conduit à des situations extrêmes.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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